Sans doute jamais encore dans l’histoire suisse la considération du peuple pour le Conseil fédéral n’a été aussi mitigée qu’aujourd’hui. La faute n’en incombe pas seulement à l’organe…
Sans doute jamais encore dans l’histoire suisse la considération du peuple pour le Conseil fédéral n’a été aussi mitigée qu’aujourd’hui. La faute n’en incombe pas seulement à l’organe gouvernemental composé trop souvent de personnalités faibles, voire carrément inaptes à leur fonction, mais qui, malgré leurs insuffisances, s’accrochent aussi longtemps que possible à leur siège; le système politique, qui porte de telles personnalités aux plus hautes fonctions de l’Etat et les y maintient, est tout aussi fautif.
Dégoût croissant devant les élections par le Parlement
L’élection du Conseil fédéral par le Parlement s’est dégradée au fil des ans pour n’être aujourd’hui plus qu’une cuisine malodorante dont les ingrédients sont l’avidité du pouvoir, des intrigues de bas étage et des ententes secrètes. Les conséquences de cette situation sont des décisions aussi hasardeuses qu’indignes avec des élections à une seule voix de majorité ou encore la presque-élection d’une personne qui n’était pas candidate (et qui avait précédemment déclaré expressément ne pas être à disposition). Un candidat officiellement nommé par son parti n’a obtenu aucune voix, même pas de son propre parti. On a assisté à l’éviction du candidat manifestement le plus capable alors que des ratés évidents ont réalisé des scores exceptionnels. Les parlementaires abusent des élections au Conseil fédéral pour écarter les candidats favoris d’un parti et pour élire des personnes dont ce parti ne veut pas, en l’occurrence pour élire une candidate qui a accepté de se prêter à ces manigances alors que personne ou presque ne la connaissait au Parlement. Les cris de triomphe poussés par les gagnants à ce jeu répugnant ont contribué à écœurer une population dégoûtée depuis longtemps par les basses intrigues appelées élections parlementaires du Conseil fédéral.
Mépris de la volonté populaire
La volonté populaire exprimée lors des élections législatives ne se répercute plus sur la composition politique au Conseil fédéral. Lors de l’Assemblée fédérale de décembre 2007, une coalition d’individus avides de pouvoir a ignoré le résultat des élections fédérales qui avaient eu lieu quelques semaines avant. Dépités et rancuniers, les perdants des élections ont lancé des actions de vengeance contre les vainqueurs, ne reculant pas devant des manœuvres extrêmement douteuses du point de vue démocratique et contribuant du même coup à décourager les citoyens à exercer leurs droits de participation politique. Ces jeux de pouvoir, de hasard et d’intrigues n’ont plus aucun rapport avec la démocratie et la transparence. Cette année également, on voit des parlementaires tenter des coups fourrés et des ententes secrètes pour éluder les règles de la concordance. L’élection du Conseil fédéral par le peuple couperait court, une fois pour toutes, à ces manœuvres dégoûtantes. Le gouvernement fédéral serait légitimé par la volonté populaire effective, mais aussi placé en face de ses responsabilités. Un tel gouvernement s’occuperait à nouveau des intérêts réels de la Suisse au lieu de se mettre au service de la classe politique internationale. Le Conseil fédéral s’engagerait à nouveau pour la Suisse. A l’inverse, les électeurs ne pourraient plus se détourner de la chose publique sous le prétexte « qu’ils font de toute manière ce qu’ils veulent ».
L’élection du gouvernement par le peuple ne pose aucun problème dans les cantons
Les opposants à l’élection du Conseil fédéral par le peuple avancent les mêmes arguments qui avaient été déjà développés au moment de l’introduction de l’élection populaire des gouvernements cantonaux. Ces réserves se sont avérées infondées. Aucun des 26 cantons suisses ne voudrait aujourd’hui revenir sur cette décision et confier l’élection de son gouvernement cantonal à son parlement. L’élection des gouvernements cantonaux par le peuple prouve que les citoyens sont tout à fait capables de comprendre les enjeux et de sauvegarder la concordance. De même qu’ils sont parfaitement aptes à prendre des décisions sur de nombreux objets de votation fort complexes. Les élections populaires dans les cantons montrent que les minorités linguistiques peuvent participer au gouvernement à la satisfaction de tous. Il ne faut pas non plus redouter une « américanisation » de la campagne politique. En revanche, l’élection du Conseil fédéral par le peuple stimulerait la politique suisse, l’électriserait même, et enraierait l’abstentionnisme croissant des citoyens, signe de leur désintérêt pour la politique. Dans les cantons, on n’a élu ni des multimillionnaires, ni des démagogues, ni des « populistes », mais des hommes et des femmes du peuple et par lesquels le peuple se sent représenté.
Elire des personnalités et non des carriéristes
L’essence même des élections démocratiques est de proposer des alternatives en lieu et place de solutions contraignantes. L’élection du Conseil fédéral par le Parlement a desservi les personnalités fortes et profilées. Au lieu de prendre en compte l’expérience et les capacités politiques, on met en avant des critères insignifiants comme la tolérance sociale, la volonté de rentrer dans les rangs ou des questions de style. Elu par le peuple, le Conseil fédéral serait effectivement contraint de représenter l’opinion de la majorité du peuple, qui n’est pas forcément celle de la majorité du Parlement. La réglementation actuelle place le gouvernement dans une dépendance nuisible par rapport au Parlement, si bien que l’exécutif n’est plus responsable face au peuple. Dans un système d’élection du Conseil fédéral par le peuple il serait, par exemple, impensable qu’un conseiller fédéral s’excuse à l’étranger pour le résultat d’une votation populaire ou ne défende pas son peuple et les intérêts de celui-ci face à des attaques étrangères. L’élection directe du gouvernement ne renforce pas le pouvoir de celui-ci, mais entraîne au contraire un meilleur contrôle du pouvoir gouvernemental. Aujourd’hui, la légitimité démocratique du Conseil fédéral est nettement moindre que celle du Parlement élu par le peuple. La base électorale du Conseil fédéral, soit 246 conseillers nationaux et conseillers aux Etats, est trop faible compte tenu des compétences accordées au gouvernement. Juridiquement, le Parlement est donc dans une position de force par rapport au Conseil fédéral, ce qui est contraire au principe de la séparation des pouvoirs. Le législatif doit céder au peuple l’élection de l’exécutif et se limiter à sa tâche première, donc à la promulgation des lois. L’élection du gouvernement par le peuple rend l’exécutif plus indépendant face aux intérêts particuliers et le contraint à s’engager pour le bien commun, car pour gagner une élection ou une réélection, la majorité du peuple doit être satisfaite.
Proposition de nouvel article constitutionnel
Le principe de la légitimité démocratique veut que les sept conseillers fédéraux soient élus par le peuple. Le système majoritaire favorise nettement l’élection de personnalités. Il est aujourd’hui appliqué dans la grande majorité des cantons, à l’exception de ceux de Zoug et du Tessin. Les minorités linguistiques doivent être prises en compte équitablement. Il s’agit certes là d’une atteinte au principe de performance (« les meilleurs doivent être élus »); d’ailleurs les cantons de Fribourg et des Grisons ne garantissent pas de sièges à leurs minorités linguistiques. Une telle garantie pour la Suisse romande et le Tessin correspondrait pourtant à la pratique actuelle (suivie tacitement) des élections au Conseil fédéral. Comme il est souhaitable que tous les conseillers fédéraux soient élus par tous les citoyens du pays, le système bernois (avec garantie de siège) paraît préférable au système valaisan (avec différentes circonscriptions électorales) pour le niveau fédéral. La proposition développée ici garantit deux sièges au total aux cantons du Tessin, de Vaud, de Neuchâtel, de Genève, du Jura ainsi qu’aux districts francophones des cantons de Fribourg, du Valais et de Berne et aux districts italophones des Grisons.
Le système bernois repris au niveau fédéral
Le système bernois donne à la minorité linguistique une influence qualifiée sur la désignation de la personne qui la représentera au Conseil fédéral, mais sans pour autant affecter le droit des électeurs de toute la Suisse de participer à l’élection de tous les conseillers fédéraux. Les membres du Conseil fédéral exerçant leur « autorité » sur tout le territoire de la Confédération, ce système leur permet de tirer leur légitimité démocratique de l’ensemble du corps électoral du pays. Le président ou la présidente de la Confédération serait élu par le Conseil fédéral parmi ses membres pour une durée d’un an. Son élection par le peuple est hors de question puisqu’elle constituerait le passage d’un système collégial à un système présidentiel. Le chancelier ou la chancelière de la Confédération continuerait d’être élu par le Parlement pour une période de quatre ans.
Les nouvelles dispositions constitutionnelles fédérales s’énoncent comme suit:
Art. 175 Composition et élection
1 Le Conseil fédéral est composé de sept membres.
2 Les membres du Conseil fédéral sont élus directement par le peuple selon le système de l’élection majoritaire. Les élections générales au Conseil fédéral ont lieu tous les quatre ans en même temps que les élections au Conseil national.
3 La Suisse forme une seule circonscription électorale pour cette élection.
4 Deux membres au moins du Conseil fédéral sont désignés par les électeurs des cantons du Tessin, de Vaud, de Neuchâtel, de Genève, du Jura ainsi que par ceux des districts francophones des cantons de Fribourg, du Valais et de Berne et des districts italophones des Grisons. Pour l’attribution de ces deux sièges, les voix de ces cantons et districts ainsi que les voix de toutes la Suisse sont comptées séparément. Les candidats obtenant la plus forte moyenne géométrique des deux résultats sont élus.
5 Le Conseil fédéral élit sa présidente ou son président ainsi que sa vice-présidente ou son vice-président pour une durée de quatre ans.
De plus, il faut adapter l’article 136 alinéa 2 et l’article 168 alinéa 1 de la nouvelle Constitution fédérale:
Art. 136 Droits politiques
1 Tous les Suisses et toutes les Suissesses ayant 18 ans révolus qui ne sont pas interdits pour cause de maladie mentale ou de faiblesse d’esprit ont les droits politiques en matière fédérale. Tous ont les mêmes droits et devoirs politiques.
2 Ils peuvent prendre part à l’élection du Conseil fédéral et du Conseil national et aux votations fédérales et lancer et signer des initiatives populaires et des demandes de référendum en matière fédérale.
Art. 168 Elections
1 L’Assemblée fédérale élit le chancelier ou la chancelière de la Confédération, les juges au Tribunal fédéral et le général.
2 La loi peut attribuer à l’Assemblée fédérale la compétence d’élire d’autres personnes ou d’en confirmer l’élection.
Complément à la loi fédérale sur les droits politiques
Selon l’article 15 alinéa 3 de la loi fédérale sur les droits politiques du 17 décembre 1976, les modifications de la Constitution fédérale entrent immédiatement en vigueur après leur acceptation par le peuple et les cantons.
Après l’approbation de l’élection du Conseil fédéral par le peuple, la loi fédérale sur les droits politiques doit être immédiatement complétée par un nouveau titre. Ce dernier devra notamment comprendre les points suivants: