Cette initiative exige des votations populaires automatiques sur des traités d’Etat dans des domaines dits "importants". Raisonnable à première vue, cette proposition obtient en réalité juste…
Pirmin Bischof, conseiller aux Etats, Soleure (SO)
Que veut cette initiative?
Cette initiative exige des votations populaires automatiques sur des traités d’Etat dans des domaines dits « importants ». Raisonnable à première vue, cette proposition obtient en réalité juste l’effet inverse à celui affiché par ses auteurs. Elle est superflue, imprécise et menace des emplois.
Cette initiative est superflue: la participation du peuple à la politique étrangère est garantie.
Le référendum en matière de traités d’Etat existe depuis 90 ans et il a fait ses preuves. Les Suissesses et les Suisses jouissent d’un droit de participation à la politique étrangère qui est unique au monde. Et cela doit rester ainsi. Aujourd’hui déjà, l’adhésion à une communauté supranationale comme l’UE ou à une organisation de sécurité collective (OTAN) est soumise au référendum obligatoire. Il est donc obligatoire de faire voter le souverain et il faut une majorité du peuple et des cantons pour que la proposition soit acceptée. Personne ne contestera qu’il s’agisse là de projets « importants ».
Les traités d’Etat non limités dans le temps et non résiliables prévoyant l’adhésion à une organisation internationale, contenant des dispositions fixant des règles de droit ou dont l’application exige l’adoption d’une loi fédérale sont aujourd’hui déjà soumis au référendum facultatif. Cela signifie que 50 000 citoyennes et citoyens suisses ou huit cantons peuvent exiger une votation populaire. Il appartient donc à une partie de la population, et non pas au Parlement, de décider si elle considère un projet comme important.
La Suisse signe chaque année quelque 500 traités d’Etat dont la majorité n’ont qu’une faible portée, si bien que le Conseil fédéral et l’administration peuvent les conclure de manière indépendante. Au Parlement, nous examinons 20 à 40 conventions internationales par an dont une vingtaine sont soumis au référendum. Un regard dans le passé nous indique que durant les nonante ans écoulés le référendum n’a été lancé que dix fois dans 257 cas possibles. Seuls deux traités d’Etat (le crédit IDA en 1976 et un accord commercial avec la France en 1923) ont été rejetés par le peuple. Ce qui gêne sans doute le plus les auteurs de l’initiative, c’est que le peuple a fréquemment décidé autrement qu’ils ne le souhaitaient (par exemple, dans le cas des accords bilatéraux avec l’UE). Mais cela n’est pas une raison suffisante pour modifier la Constitution!
Que signifie « domaines importants »?
Une des grandes faiblesses de cette initiative réside dans sa formulation. Les initiateurs ne précisent pas ce qu’ils entendent par « domaines importants ». Ils se réfèrent à l’art. 164 de la Constitution fédérale où il est question de dispositions fixant des règles de droit. Ce n’est pas la même chose que des domaines. Qu’est-ce qui est un domaine important. L’agriculture? La navigation? Le droit fiscal? Si vous dites « OUI », tous les accords futurs dans ces domaines tombent sous le coup du référendum obligatoire. Avec pour effet des douzaines de votations inutiles.
Procédure inutile et onéreuse
Cet automatisme en termes de votation exigé par les initiateurs aurait pour effet de faire voter le peuple sur des traités d’Etat que personne ne conteste. Il s’en suivrait de grosses pertes de temps et d’argent pour la Confédération, les cantons et les communes. Nous ne renforçons pas la démocratie en faisant voter les citoyens sur tout et n’importe quoi, mais les faisant voter sur ce qu’ils considèrent comme important. Ce principe est garanti par le système actuel qui est équilibré et qui a fait ses preuves. On n’organise pas non plus des votations sur des lois fédérales incontestées.
Cette initiative menace des emplois
C’est une évidence: c’est aussi grâce à des traités d’Etat que l’économie suisse est compétitive. Notre prospérité dépend pour une bonne part du commerce international de biens et de services. Les entreprises ont cependant besoin de règles et de structures fiables dans le commerce international. Sur les quelque 500 traités d’Etat conclus chaque année, les 28 accords de libre-échange, qui forment un dense réseau de conventions, les 120 accords sur la protection des investissements et les 82 accords de double imposition sont d’une importance capitale pour l’économie. Pendant que nous discutons ici, une douzaine de nouveaux accords de libre-échange et une vingtaine d’accords de double imposition sont en cours de négociation.
Les accords de libre-échange éliminent les obstacles commerciaux et améliorent la compétitivité du marché des exportations. Ils permettent à l’industrie d’exportation d’économiser chaque année des droits de douane pour des centaines de millions de francs. Les consommateurs en profitent aussi. Pour les seules importations en provenance de l’UE, les économies en termes de droits de douane se montent à quelque 2 milliards de francs par an. Les entreprises suisses sont de surcroît protégées contre des mesures chicanières dans les pays hôtes. L’extension du réseau des traités d’Etat avec des importants marchés de croissance comme, par exemple, l’Asie réduit de surcroît la dépendance économique de l’UE.
La Suisse doit demeurer un partenaire commercial attractif et fiable. La libéralisation commerciale internationale est donc absolument prioritaire. Or, s’il en va selon la volonté des initiateurs, chaque accord de double imposition – peut-être même chaque révision d’un tel accord – devrait être soumis au peuple et aux cantons. Ce procédé crée une grande insécurité du droit, un luxe que nous ne pouvons pas nous offrir!
La situation économique actuelle au niveau mondial est peu confortable. La concurrence entre les économies nationales est de plus en plus dure. De nombreux Etats réagissent à cette situation en cloisonnant leur marché, en augmentant les droits de douane ou en érigeant d’autres obstacles commerciaux pour protéger leurs produits nationaux. Durant les trois ans écoulés, un millier de mesures de ce type ont été prises au niveau mondial. 200 d’entre elles concernent directement la Suisse. Dans un tel environnement, la compétitivité est la seule condition de survie. Nos entreprises se battent aujourd’hui déjà avec un franc surévalué et des coûts de production et salariaux qui sont parmi les plus élevés du monde. Si de surcroît on empêche la conclusion d’importants accords internationaux et si on insécurise de la sorte les partenaires contractuels, on menace finalement des emplois. Cette initiative affaiblit notre position dans le monde et restreint inutilement la marge de manœuvre de la Suisse en politique étrangère.
Voilà pourquoi je vous recommande de dire « NON » le 17 juin.