éditorial

Décision de fond concernant l’interdiction de la discrimination

Les Suisses sont discriminés en matière de regroupement familial : acceptable dit le Tribunal fédéral…

Par Yves Nidegger, avocat et conseiller national

Les Suisses sont discriminés en matière de regroupement familial : acceptable dit le Tribunal fédéral

Le Tribunal fédéral a délibéré en audience publique le 13 juillet 2012 dans une affaire qui a vu se télescoper plusieurs problématiques, toutes au cœur des préoccupations politiques de l’UDC:

  1. La discrimination contre les Suisses découlant des accords de libre circulation;
  2. La relation entre le droit international et les lois du parlement;
  3. La soumission du Tribunal fédéral aux lois du parlement.

Un Suisse d’origine bosniaque recourait au Tribunal fédéral contre une décision de l’Office cantonal vaudois de la population refusant d’accorder un permis de séjour à sa mère bosniaque qui souhaitait le rejoindre en Suisse au terme du regroupement familial. Le recourant se plaignait d’avoir été discriminé en tant que Suisse (discrimination à rebours) par l’exigence non réalisée (motif du refus) d’un séjour légal préalable de sa mère sur le territoire d’un pays de l’Union européenne ou de l’Association européenne de libre-échange (en application de la Loi fédérale sur les étrangers) alors que cette même condition n’était pas exigée des ressortissants européens au bénéfice du droit de la libre circulation.

Pour les Européens en Suisse, le Tribunal fédéral (2C_196/2009), a levé l’exigence de séjour légal préalable en application de la jurisprudence (Metok) de la Cour de justice de l’Union européenne et indiqué dans un arrêt du 22 janvier 2010 (2C_135/2009) qu’il revenait au parlement de corriger l’inégalité de traitement qui en résultait pour les parents des Suisses soumis à la Loi fédérale sur les étrangers. A défaut, le Tribunal fédéral corrigerait lui-même la contradiction constatée en se fondant sur l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et sur le principe de la primauté du droit international.

Saisi d’une initiative parlementaire en ce sens (Tschümperlin 10.427), le Conseil national a refusé de modifier la LEtr., estimant en 2011 qu’il n’était pas nécessaire de supprimer immédiatement l’inégalité de traitement relevée par le Tribunal fédéral. Il était préférable d’observer l’évolution de la jurisprudence avant de débattre de la création de droits supplémentaires. Selon le Conseil national, le regroupement familial incluant des proches qui viennent de pays tiers est l’un des rares domaines où la Suisse peut encore déterminer elle-même sa politique de migration et c’est à dessein qu’une distinction avait été faite dans la loi entre le regroupement familial incluant des proches qui viennent de pays tiers et celui incluant des proches qui viennent d’Etats avec lesquels la Suisse a conclu un accord sur la libre circulation. Il fallait éviter tant que faire se pouvait que le regroupement familial ne soit trop largement étendu à des personnes qui sont en définitive prises en charge par des citoyens suisses.

La délibération du Tribunal fédéral était donc très attendue. Le juge rapporteur, de même que le président de la Cour et le greffier (avis consultatif) ont proposé de trancher en faveur du recourant: dès lors que le parlement avait omis d’éliminer lui-même la discrimination constatée dans la loi, le Tribunal fédéral avait le droit et le devoir d’écarter lui-même la règle de droit suisse contraire à la CEDH, dès lors que la Convention protège la vie de famille et interdit la discrimination.

A suivre cet avis, le Tribunal fédéral se serait arrogé un rôle de Cour constitutionnelle, qu’il n’a pas, et se serait placé au dessus du parlement. Les trois autres juges ont finalement fait pencher la balance dans le sens inverse en rejetant le recours: dès lors que c’est le parlement qui fait les lois que le Tribunal fédéral a charge d’appliquer, dès lors que le Conseil national a débattu de cette question suite à l’invitation du TF, qu’il a estimé qu’il n’y avait pas urgence agir et que la discrimination faite aux Suisses pouvait se justifier par des considérations d’ordre social et migratoire, la question était politique. Il n’était par ailleurs pas absolument certain que la distinction entre Suisses et Européens violait ici la CEDH.

Est-il choquant qu’un Bosniaque naturalisé Suisse ait plus de difficulté à faire venir sa mère en Suisse qu’un Bosniaque naturalisé Allemand vivant en Suisse au bénéfice de la libre circulation? Certainement. Mais le remède proposé aurait été pire que le mal. Et le problème ne se trouve pas dans le droit suisse, que le Tribunal a eu raison de protéger, mais dans l’accord de libre circulation, que la Suisse devrait renégocier.

 
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