La conférence de presse d’hier de Didier Burkhalter, président de la Confédération, était désarmante. Ses déclarations ne visaient pas principalement les décisions du Conseil fédéral concernant l’immigration en provenance de la Croatie, mais se concentraient sur le feu vert donné le même jour par les représentants permanents des Etats membres de l’UE à Bruxelles à un mandat de négociation sur lesdites "questions institutionnelles".
Editorial de Martin Baltisser, secrétaire général de l’UDC Suisse
La conférence de presse d’hier de Didier Burkhalter, président de la Confédération, était désarmante. Ses déclarations ne visaient pas principalement les décisions du Conseil fédéral concernant l’immigration en provenance de la Croatie, mais se concentraient sur le feu vert donné le même jour par les représentants permanents des Etats membres de l’UE à Bruxelles à un mandat de négociation sur lesdites "questions institutionnelles". Un accord cadre est la "clé" des futures relations de la Suisse avec l’UE, a souligné à plusieurs reprises Didier Burkhalter. Ce que l’on a surtout compris hier, c’est qu’un tel accord est la clé moyennant laquelle le Conseil fédéral cherche à éluder la décision du peuple et des cantons du 9 février dernier.
Jusqu’ici, les négociations sur un rattachement supplémentaire de la Suisse à l’UE ont été présentées comme un moyen d’harmoniser la législation et l’interprétation du droit pour permettre à la Suisse d’accéder à l’avenir au marché intérieur UE. Or, il s’avère de plus en plus qu’un tel accord doit servir avant tout à invalider l’initiative contre l’immigration de masse acceptée le 9 février dernier par le souverain helvétique. Si la Suisse s’engage à reprendre le droit UE et son interprétation par la Cour européenne de justice dans tous les domaines concernant l’accès au marché intérieur UE (comme le prévoit le mandat de négociation adopté par le Conseil fédéral le 18 décembre 2013), elle reconnaît aussi complètement le principe de la libre circulation des personnes qui est une des quatre libertés de base du marché intérieur UE (libre circulation des marchandises, des services, des capitaux et des personnes). Et cela bien que la Suisse ne soit pas membre du marché intérieur UE.
Si un tel accord est réalisé et si le peuple l’approuve lors d’un vote référendaire prévisible, ce traité de droit international invalide la disposition constitutionnelle sur l’immigration en vigueur depuis le 9 février 2014. Voilà exactement la stratégie du Conseil fédéral. La préparation de la mise en œuvre de l’initiative contre l’immigration de masse, tout comme les escarmouches concernant l’accès de la Suisse aux programmes de formation et de recherche UE deviennent alors totalement secondaires. S’il en va selon la volonté du Conseil fédéral, il n’y aura même pas de négociations avec Bruxelles sur une adaptation de l’accord de libre circulation des personnes à la suite de l’acceptation de l’initiative, car le traité concernant le rattachement institutionnel sera mis en vigueur avant.
Coup de bluff
Aussi, le public attentif a-t-il pu assister hier à un authentique coup de bluff organisé dans les moindres détails. Le Conseil fédéral a accepté deux déclarations commandées par Bruxelles et les a annoncées par communiqué juste avant sa séance. C’est ce qu’attendaient les ambassadeurs UE à Bruxelles pour donner à leur tour le feu vert au mandat de négociation avec la Suisse sur les questions institutionnelles. Le contenu du mandat de négociation UE sera sans doute conforme à celui adopté par le Conseil fédéral. Sur ce point, les deux négociateurs en chef de la Suisse et de l’UE, MM. Rossier et O’Sullivan, s’étaient déjà mis d’accord l’an passé. Les décisions prises hier par le Conseil fédéral n’étaient donc qu’accessoires. La déclaration du Conseil fédéral concernant la "non-discrimination des citoyennes et citoyens croates" équivaut à une application matérielle des éléments-clés adoptés avec la Croatie concernant l’extension de la libre circulation à ce pays. La décision du Conseil fédéral de verser à la Croatie une contribution de 45 millions de francs a très nettement le goût d’un "paiement de réparation" dans ce contexte. Elle illustre aussi l’état d’esprit du gouvernement depuis le 9 février.
Rien sans libre circulation des personnes
Quelle sera la contrepartie de ce geste à l’égard de la Croatie? Rien à court terme. L’UE semble désormais prête à négocier à nouveau une association complète de la Suisse aux programmes UE de formation, de recherche et de culture. On a cependant appris que Bruxelles fait dépendre la conclusion de ces négociations d’un engagement de la Suisse en faveur de la libre circulation des personnes. Le serpent se mord la queue.
On comprend mal également la deuxième déclaration du Conseil fédéral concernant les "droits acquis" des citoyennes et citoyens UE et AELE qui vivent et travaillent en Suisse. On y renvoie à un article de l’accord sur la libre circulation des personnes qui garantit les droits acsquis de personnes venues en Suisse par le biais de cette règlementation. Ajoutée à la déclaration introductive du Conseil fédéral, selon laquelle l’accord de libre circulation des personnes reste pour le moment en vigueur dans sa forme actuelle, cette annonce équivaut à une invitation aux citoyens UE à venir aussi nombreux que possible en Suisse pour profiter de la règlementation actuelle. L’interprétation de ce point aurait pu être un atout dans les futures négociations avec l’UE. Le Conseil fédéral y a renoncé hier parce que l’UE l’a exigé.
On se retrouvera
Ainsi, tout culminera dans le futur accord-cadre entre la Suisse et l’UE. Un tel traité pourrait être réalisé plus rapidement que prévu jusqu’ici. En effet, son contenu a déjà été esquissé au cours d’entretiens entre la Suisse et l’UE ces années passées. A la suite de l’acceptation de l’initiative contre l’immigration de masse le 9 février, cet accord-cadre joue un rôle tactique supplémentaire. Il devrait servir à corriger une décision populaire que le Conseil fédéral considère comme fausse. La stratégie de communication adoptée convient tout à fait à cette politique: présenter les conséquences du 9 février de la manière la plus catastrophiste possible et y ramener chaque événement négatif survenant en Suisse. Le but est de donner mauvaise conscience aux personnes ayant voté pour l’initiative. Le bon peuple aura cependant l’occasion de corriger son erreur en votant pour l’accord-cadre.
L’enjeu d’une éventuelle votation sur un rattachement institutionnel sera donc important: la Suisse doit-elle obligatoirement reprendre du droit UE dans des domaines-clés, donc abandonner le développement de son droit et le céder aux organes UE? La Suisse doit-elle céder l’interprétation du droit à la Cour européenne de justice, donc accepter des juges étrangers? Enfin: la Suisse doit-elle revenir à la libre circulation des personnes, donc renoncer définitivement à gérer l’immigration sur son territoire?
En fin de compte, cette votation portera, ni plus, ni moins, sur l’indépendance et l’autodétermination de la Suisse. Sur ce point aussi, le conseiller fédéral Burkhalter a eu une attitude pour le moins étonnante. Répondant à une question d’un journaliste, il a justifié le choix du Conseil fédéral par l’article définissant l’objectif de la Constitution fédérale. Il a mentionné la prospérité et la sécurité du pays, mais il n’a soufflé mot de la liberté et de l’indépendance que l’article 2 de la Constitution fédérale place au même niveau que les deux premiers objectifs. Voilà encore qui en dit long de la mentalité du gouvernement.