C’est avec plaisir que j’ai donné suite à la sollicitation d’Adrian Dillier de m’exprimer devant vous sur la liberté et la responsabilité individuelles de même que sur les menaces que l’Etat fait…
C’est avec plaisir que j’ai donné suite à la sollicitation d’Adrian Dillier de m’exprimer devant vous sur la liberté et la responsabilité individuelles de même que sur les menaces que l’Etat fait peser sur elles.
Pour introduire le thème qui m’a été confié, j’aimerais dire quelques mots sur les valeurs en politique.
L’amour constitue très probablement la valeur suprême à laquelle aspirent les êtres humains. Cette valeur de dimension essentiellement privée présente toutefois un prolongement politique évident. Il en est ainsi parce que cette aspiration universelle à être aimé se traduit par un désir qu’éprouvent consciemment ou plus diffusément presque tous les êtres humains. Nous souhaitons toutes et tous que la société et l’Etat respectent à notre égard ce nous considérons à juste titre comme nos droits légitimes à la liberté, à la justice et à la sécurité. La liberté, la justice et la sécurité représentent bien les trois valeurs politiques fondamentales.
Définissons rapidement ces trois valeurs.
La notion de justice recouvre au moins l’égalité des chances, l’égalité devant la loi, une répartition pas trop inégalitaire des revenus, la solidarité à l’égard des personnes les plus défavorisées par la vie, mais aussi une juste récompense du travail individuel.
Au sens étroit, la sécurité consiste au moins à pouvoir se promener à minuit sans être agressé et à vivre en paix dans un pays dont l’intégrité est reconnue de jure et de facto. Dans un sens plus large, la sécurité englobe aussi, pour la plupart des gens, l’assurance que leur dignité, leur identité personnelle et collective ainsi que leur statut matériel seront maintenus ou recouvrés.
La liberté est un peu plus difficile à saisir, car ce concept est riche de sens divers.
Au sens politique le plus élevé, la liberté englobe les libertés individuelles classiques de pensée, de conscience, de religion, de réunion, de presse, de propriété privée et d’initiative économique. Mais dans un sens hélas trop prisé aujourd’hui, la liberté est la possibilité de faire n’importe quoi, n’importe comment et n’importe quand. C’est la liberté instinctuelle ou pulsionnelle.
Lorsque l’une de ces valeurs se mue en valeur absolue et prend des couleurs trop idéologiques, elle évolue pathologiquement jusqu’à une perversion totale qui équivaut à la mort de la démocratie.
La liberté instinctuelle déifiée devient rapidement ultralibéralisme, puis anarchie en phase terminale.
La justice absolutisée se transforme en égalitarisme et aboutit au totalitarisme de gauche.
La sécurité idolâtrée appelle l’autoritarisme, puis, à un stade ultérieur, la dictature de droite.
Les trois valeurs de liberté, de justice et de sécurité tendent à être inconciliables ou incompatibles en raison de la nature humaine.
La liberté instinctuelle dégénère rapidement en liberté de faire n’importe quoi donc, pour les plus forts et les moins scrupuleux, d’aménager les rapports sociaux en leur faveur. Ce type de liberté s’exerce au détriment de la justice. C’est la liberté du renard dans le poulailler.
Une liberté détériorée de type pulsionnel s’oppose également à la sécurité. Platon l’avait déjà vu, qui s’exclamait ainsi : « Lorsqu’une démocratie, altérée de liberté, s’enivre de ce vin au-delà de toute décence … ils (les citoyens) en viennent à la fin, tu le sais, à ne plus s’inquiéter des lois écrites ou non écrites, afin de n’avoir absolument aucun maître … Ce mal … réduit la démocratie à l’esclavage ».
A l’inverse, une passion exagérée pour la sécurité est de nature à porter atteinte à la liberté. La multiplication des caméras de surveillance qui permettront de suivre de manière toujours plus précise les mouvements des personnes en constitue la parfaite illustration.
Quant à l’exigence excessive de justice égalitariste, elle détruit et la liberté économique et les libertés individuelles classiques, les secondes ne pouvant subsister sans la première. C’est avec sagacité que Raymond Aron a écrit : « L’égalitarisme doctrinaire s’efforce vainement de contraindre la nature, biologique et sociale, il ne parvient pas à l’égalité mais à la tyrannie ».
Même si les êtres humains désirent que les valeurs de liberté, de sécurité et de justice soient reconnues et garanties, ils les font entrer dans une hiérarchie en fonction de leur conception du monde, de leur tempérament, de leur milieu social ou de leurs intérêts. Les partis politiques le font plus explicitement encore.
En référence à ces préférences, trois courants politiques majeurs émergent. Les libéraux privilégient la liberté sur les deux autres valeurs, les socialistes la justice et les conservateurs la sécurité.
En considérant de surcroît les trois valeurs de liberté, de justice et de sécurité sous leurs formes altérées, on aboutit à six choix politiques fondamentaux.
A part les libéraux, les socialistes et les conservateurs déjà mentionnés, la vénération excessive de la liberté, de la justice et de la sécurité fondent respectivement les courants politiques des libertaires ou anarchistes (pour l’excès de liberté), des communistes (pour l’excès de justice) et des fascistes (pour l’excès de sécurité).
Il est même possible d’élaborer une classification encore plus complète avec neuf familles politiques en recourant à la hiérarchisation complète des trois valeurs. Nous n’avons pas le temps d’évoquer ici cette typologie. Disons simplement, à titre d’exemple que ceux qui placent en tête de leurs préférences la liberté, ensuite la sécurité et finalement la justice font partie des libéraux-conservateurs.
En réfléchissant à ces trois valeurs et à leur difficile compatibilité, on peut légitimement arriver à la conclusion que, dans l’idéal, un gouvernement devrait intégrer dans une politique globale équilibrée les exigences de liberté, de justice et de sécurité. La Suisse et bien des pays européens se sont rapprochés de ce modèle dans les années 1960 pour le bonheur de leurs populations.
Pourquoi alors insister sur l’importance primordiale de préserver la liberté et même de lui accorder une prééminence sur d’autres valeurs ?
La liberté est évidemment un concept qui revêt de nombreux sens, dont plusieurs présentent une forte connotation philosophique. Mais c’est bien le sens le plus simple et le plus utilisable dans le domaine politique du mot « liberté » qui nous intéresse ici. La liberté incarnée est une liberté concrète qui réunit, dans sa quintessence, la liberté de pensée, la liberté d’action et l’autonomie la plus grande possible par rapport à l’Etat, à la société et à autrui. Tocqueville songe très certainement à ce type de liberté lorsqu’il écrit : « … chaque homme … apporte en naissant un droit égal et imprescriptible à vivre indépendant de ses semblables, en tout ce qui n’a rapport qu’à lui-même, et à régler comme il l’entend sa propre destinée. » La liberté ainsi définie repose substantiellement sur l’absence de contrainte comme l’a très bien théorisé le grand penseur libéral Friedrich Hayek.
Cette liberté présente une inestimable valeur pour quatre raisons fondamentales.
Tout d’abord, il n’y a pas de dignité humaine sans liberté. Seule la liberté permet aux personnes d’assumer leur vocation, d’adhérer à une pensée religieuse, philosophique ou politique pour la partager avec d’autres et la diffuser, de déterminer leur vie en fonction de leurs préférences, d’élaborer des projets et de les concrétiser, d’identifier et d’assumer leur vocation. C’est à ces conditions seulement qu’une personne peut s’épanouir, être véritablement elle-même et mener une vie digne d’être vécue.
Ensuite, seul un être humain libre peut assumer des responsabilités et être tenu pour responsable de ses actes. Les robots sont par définition irresponsables de leurs faits et gestes. Or, sans responsabilité humaine, il n’y a pas d’éthique possible. La liberté est ainsi nécessaire à la possibilité d’orienter les comportements en référence à une éthique.
En outre, la liberté est tellement précieuse simplement parce la grande majorité d’entre nous l’apprécions. Chaque fois qu’elles en ont l’occasion, les personnes choisissent la liberté contre l’asservissement. Jusqu’à la Chute du Mur de Berlin, ce sont les ressortissants des pays communistes totalitaires qui tentaient de rejoindre le monde libre, pas le contraire.
Finalement, la liberté est une réalité magnifique parce qu’elle autorise la création de richesses matérielles et immatérielles. La liberté permet le déploiement des talents dont sont pourvus les humains et de l’esprit d’initiative qui les habite. C’est dans ce sens que la liberté constitue la principale source de la recherche scientifique, des avancées technologiques, de la prospérité économique et du développement culturel. C’est parce qu’il a été libre avant les autres que l’Occident a été riche avant eux et qu’il a servi de pôle d’attraction au monde entier. Malgré leur face sombre que l’on ne saurait nier, les sociétés occidentales ont apporté de nombreux bienfaits au monde et c’est principalement à la liberté et à sa source spirituelle la plus profonde, à savoir le judéo-christianisme, que nous devons cette vérité incontestable.
Nous l’avons laissé entendre. Aucune société ne peut vivre et encore moins survivre en accordant une liberté absolue à toutes les personnes qui la composent. La liberté pulsionnelle qui est la liberté de donner libre cours à toutes les pulsions égoïstes et violentes interdit à une société d’être substantiellement juste et sûre. Par ailleurs, il est parfaitement compréhensible que tout Etat dispose d’un pouvoir de contrainte et du monopole de la violence pour assurer la défense face à l’extérieur et la sécurité de la population soumise à son imperium. C’est avec une irréfutable pertinence que le célèbre théoricien du droit naturel Samuel Puffendorf a écrit : « pour se garantir des maux que les hommes prennent plaisir à se faire mutuellement, par un effet de leur malice naturelle, il a fallu chercher le souverain préservatif … par l’établissement … du pouvoir souverain. » Cette constatation constitue l’exacte origine de l’Etat, réalité aussi universelle qu’incontournable. Il est encore normal qu’au travers de ses entreprises publiques ou par le biais des subventions ou d’une réglementation contraignante, l’Etat garantisse la pérennité de services publics tels que la poste, les chemins de fer ou la distribution d’électricité. Il est en outre souhaitable que l’Etat redistribue une partie des richesses nationales pour rendre la société un peu plus équitable et plus solidaire.
Mais aujourd’hui, l’Etat devient trop invasif, en Suisse et partout en Europe. Il confisque une part toujours plus grande du Revenu national brut pour l’affecter à des buts idéologiques discutables. Il tend à devenir de plus en plus tutélaire, prescrivant aux citoyens et citoyennes des comportements naguère laissés à leur libre appréciation.
Deux grands indicateurs rendent compte de la croissance presque ininterrompue et inopportune de l’Etat : l’inflation législative et le taux des prélèvements obligatoires.
En Suisse et partout en Europe, nous promulguons chaque année de nouvelles lois entravantes. Mois après mois, plusieurs lois et ordonnances sont enrichies de dispositions contraignantes supplémentaires. Très peu de dispositions légales sont abrogées sans être remplacées. Entre 1970 et 2008, la quote-part de l’Etat – c’est-à-dire le pourcentage des dépenses étatiques par rapport au PIB – a crû de 23,7 % à 37,6 % du PIB. Seulement entre 1995 et 2008, la quote-part fiscale de l’Etat, augmentée des cotisations versées aux caisses maladie et à la prévoyance professionnelle, a passé de 36,9 % à 41,3 % du PIB. Alors que les dépenses sociales représentaient 6,5 % du PIB en 1970, elles pèsent 15,7 % de ce même PIB en 2006.
Cette tendance semble irréversible. Si elle devait se poursuivre durant quelques décennies, le secteur privé et la sphère privée seraient réduits à la portion congrue et nous nous dirigerions vers un nouveau système collectiviste sans révolution. Et dire que les gens de gauche osent parler d’ultralibéralisme et de désolidarisation pour qualifier notre société en voie d’étatisation croissante ! C’est proprement renversant.
Inutile de préciser que les charges sociales et administratives des entreprises ne cessent de s’alourdir.
La mise sous tutelle des personnes et des sociétés se manifeste aussi par le biais de graduelles évolutions qualitatives dont toutes ne présentent pas des implications financières.
Bornons-nous à citer deux exemples de cette dérive très regrettable. Par le concordat Harmos qui finira hélas par entrer en vigueur, on veut imposer aux parents d’envoyer leurs enfants à l’école obligatoire dès l’âge de quatre ans. La prudence et la modération ne doivent pas nous empêcher de dire clairement que cette mesure présente une connotation totalitaire. L’Etat n’entend plus seulement transmettre des savoirs, il veut assumer des tâches éducatives à la place des parents. C’est proprement inadmissible. Il aurait fallu donner aux parents la possibilité de scolariser leurs enfants à partir de leur 4ème année, mais non les y obliger.
Le Département de Moritz Leuenberger souhaite que, dans quelques années, chaque véhicule soit équipé d’un mouchard qui enregistrera par le détail tous les déplacements des automobilistes et recueillera de nombreux paramètres dont la vitesse. S’il est concrétisé, ce projet inquiétant constituera un empiétement manifeste de la sphère privée et un instrument supplémentaire aux mains d’un Etat tenté de se muer toujours plus en un Big Brother technocratique, bureaucratique, jaloux et vengeur.
Chères participantes et participants,
La pérennité des libertés individuelles classique est menacée. Demeurons attachés à nos précieuses libertés individuelles, défendons-nous contre les assauts permanents que leur portent l’Etat mais aussi la société. C’est un combat à la fois nécessaire, louable et noble.
Nous le mènerons plus facilement si nous nous souvenons de cette grande affirmation de Denis de Rougemont : « Je préfère ceux qui abusent de la liberté à ceux qui se laissent convaincre de ne pas en user ».
Mais souvenons-nous aussi que la liberté sans la responsabilité conduit à la domination des forts et des peu scrupuleux sur les plus faibles et les plus honnêtes avant d’indisposer le grand nombre. Il restera toujours vrai que ma liberté devrait s’arrêter où commence la légitime liberté de l’autre.
Dans ce contexte, quelques grandes banques et quelques grands spéculateurs pourraient méditer avec profit ces propos tenus en 1951 par Frank Abrams, président de la Standard Oil du New-Jersey : « Le rôle de la direction est de maintenir un juste équilibre entre les intérêts des différentes parties concernées : les actionnaires, les employés, les consommateurs et l’ensemble de la collectivité ».
Vive la liberté accompagnée d’éthique et de sens des responsabilités !
Vive l’UDC victorieuse le 28 mars prochain pour la liberté !
Et longue vie à vous toutes et à vous tous !