«Il nous faut de meilleurs yeux et oreilles»
Interview avec le conseiller fédéral Guy Parmelin, chef du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports.
Franc-parler: Monsieur Parmelin, vous êtes en poste depuis presque six mois. Le temps est venu de dresser un premier bilan. La fonction de conseiller fédéral est-elle comme vous l’imaginiez ?
Guy Parmelin: Absolument pas. Je plaisante, bien sûr ! L’exécutif a un fonctionnement très différent de celui du législatif, où je siégeais jusqu’à présent. Au Parlement, nous délibérions sur des lois et des ordonnances. Au Conseil fédéral, notre rôle est de mettre en œuvre les décisions du Parlement. Souvent, il faut prendre rapidement des décisions lourdes de conséquences. Ce n’est pas toujours facile, mais cela fait partie de mon rôle de chef de département. De manière générale, je me sens bien dans mes nouvelles fonctions de conseiller fédéral et responsable du Département de la défense, de la protection de la population et des sports.
Quels sont les aspects qui, jusqu’à présent, vous ont le plus impressionné ?
Le professionnalisme et l’engagement de mes collaborateurs au Département. J’apprécie énormément notre façon de travailler, de joindre nos efforts pour réaliser les objectifs fixés. La route est encore longue, mais je suis confiant que nous atteindrons nos buts.
Quel est votre premier bilan ?
Très positif. Le Parlement a adopté la réforme de l’armée en mars, à une nette majorité. Le Conseil des Etats a également approuvé le programme d’armement 2016. La modernisation des camions Duro est passée, mais cela a été plus difficile. Et j’ai malheureusement dû suspendre l’évaluation du système de défense aérienne Bodluv. Mais il arrive parfois en politique que l’on doive prendre des décisions qui ne font pas plaisir.
Comment voyez-vous notre relation avec l’UE ?
L’UE a grand intérêt à un partenariat avec la Suisse. Nous sommes des partenaires fiables, notre place économique figure en tête des classements et les membres de l’UE le savent. Bien sûr, nous devons aussi faire face à plusieurs défis, que nous devrons surmonter ensemble. Je suis toutefois certain que l’on trouvera des compromis.
La Suisse devrait atteindre la barre des 10 millions d’habitants d’ici 2030. D’après vous, comment pourrons-nous alors préserver nos valeurs et traditions ?
Le peuple suisse est aujourd’hui encore très attaché aux valeurs et traditions. On le voit quand on assiste aux grandes fêtes populaires, telles que la Fête fédérale de lutte suisse et des jeux alpestres, aux manifestations culturelles, festives, etc. Les jeunes se tournent à nouveau vers les valeurs suisses. Je suis sûr que cet attachement perdurera.
Comment pourrons-nous préserver notre indépendance ?
Il est important que nous continuions à suivre notre propre chemin et à faire montre d’assurance face à l’étranger. La Suisse, avec sa place économique forte, son grand savoir-faire, ses infrastructures de qualité et sa sécurité élevée, est un partenaire fiable et intéressant. Ne l’oublions pas. Je suis donc convaincu que nous préserverons notre indépendance.
Quelle importance accordez-vous à la nouvelle loi sur le renseignement, sur laquelle nous voterons le 25 septembre ?
Une grande importance. Au vu des menaces changeantes qui pèsent sur la Suisse, le Conseil fédéral et le Parlement ont adopté la nouvelle loi sur le renseignement (LRens). Celle-ci dote le Service de renseignement de la Confédération (SRC) de moyens supplémentaires, mais lui impose aussi des règles légales et des contrôles supplémentaires. La nouvelle loi repose sur un bon équilibre : elle renforce la sécurité de la Suisse tout en garantissant la protection des libertés individuelles.
Quels sont les points essentiels de cette nouvelle loi sur le renseignement ?
La Suisse n’est pas suffisamment protégée face aux menaces actuelles. Il faut adapter les bases légales à des circonstances toujours plus complexes et imprévisibles.
Le droit en vigueur ne permet au service de renseignement que la collecte d’informations dans des lieux publics. La pénétration de systèmes informatiques et la surveillance des télécommunications lui sont interdites. La LRens autorise ces cas de figure, mais avec des limites strictes et une procédure d’approbation judiciaire et politique en plusieurs étapes.
Ne craignez-vous pas un État fouineur trop puissant, restreignant la liberté des citoyens ?
Non, parce que ces mesures ne peuvent être utilisées qu’en cas de graves menaces pour la sécurité intérieure ou extérieure, liées au terrorisme, à l’espionnage ou à des cyberattaques visant des infrastructures clé. De plus, le contrôle est très sévère. Avant de pouvoir procéder à une écoute ciblée, le service de renseignement doit obtenir l’autorisation du Tribunal administratif fédéral et du chef du DDPS. Les chefs du DFJP et du DFAE doivent eux aussi donner leur accord. Enfin, les mesures seront contrôlées par la Délégation pour la sécurité et par une instance de surveillance indépendante.
La nouvelle loi préserve ainsi l’équilibre entre liberté individuelle et protection de la collectivité.
Qu’adviendra-t-il de toutes les données collectées ?
Comme aujourd’hui, les données personnelles non liées à des menaces ne peuvent être utilisées et doivent être détruites. S’agissant de l’exploration du réseau câblé, seules peuvent être traitées des informations correspondant aux critères de recherche définis préalablement. Les informations sur des personnes physiques ou morales vivant en Suisse ne font pas partie des critères de recherche autorisés. Ainsi, la surveillance de masse est impossible.
Où faut-il agir en priorité dans le domaine de la sécurité ?
Il y a très clairement des mesures à prendre en matière de renseignement. Il s’agit de parer la menace du terrorisme international, qui est également élevée en Suisse. Actuellement, notre marge de manœuvre est trop limitée. Il nous faut de meilleurs yeux et oreilles pour identifier et contrer suffisamment tôt des intentions terroristes dans notre pays. D’où l’importance de la nouvelle loi. Parmi les priorités, il faut aussi considérer le cyberespace. Celui-ci peut être utilisé pour un large éventail d’attaques et d’abus allant du simple vandalisme en ligne et du vol de données à l’espionnage et au sabotage. Nous avons certes agi au niveau fédéral pour une meilleure cyberprotection, mais on peut certainement mieux faire et renforcer aussi la collaboration, p.ex. avec les cantons et les entreprises privées. La récente affaire d’espionnage chez Ruag a montré, une fois de plus, la réalité de ce problème.
Qu’en est-il du risque d’attentat terroriste en Suisse ?
Le risque terroriste reste élevé en Suisse, comme dans les autres pays européens. Il est dû, d’une part, à un grand nombre de voyages à motivation djihadiste, mais aussi aux appels directs à commettre des attentats lancés par « l’État islamique » et d’autres groupements terroristes.
Nous ne pensons pas que notre pays figure parmi les cibles prioritaires du terrorisme djihadiste. Mais de nombreux pays engagés contre « l’État islamiste », ainsi que des organisations internationales ont des représentations en Suisse.
Revenons sur les six premiers mois. Indiquez-moi trois points dont vous êtes satisfait et trois dont vous êtes insatisfait (tous liés au DDPS), parmi tout ce que vous avez réalisé ou mis en route :
+ Professionnalisme et engagement des collaboratrices et collaborateurs
+ Réforme de l’armée adoptée à une nette majorité
+ Nombreux contacts positifs avec des ministres étrangers
– Il faut accroître l’efficacité des procédures d’armement
– Je souhaite une culture d’entreprise ouverte, transparente et sincère
– L’administration doit regagner la confiance des citoyens