Dans la politique extérieure, le Conseil fédéral joue à cache-cache. Il s’apprête, à travers un accord-cadre (sur l’électricité), à tirer un trait sur notre souveraineté. Son but : que la Suisse…
Dans la politique extérieure, le Conseil fédéral joue à cache-cache. Il s’apprête, à travers un accord-cadre (sur l’électricité), à tirer un trait sur notre souveraineté. Son but : que la Suisse reprenne le droit européen existant et futur
Chaque année en janvier, l’UDC du canton de Zurich organise un événement de grande envergure, centré sur des discours politiques. Traditionnellement, ceux-ci sont donnés par Christoph Blocher et un orateur invité. Il s’agit pour ainsi dire du programme principal du congrès de l’Albisgüetli. Ce ne serait cependant pas un événement UDC si la convivialité n’en avait pas aussi pour son argent : grâce à de la musique, un souper, une tombola. Par analogie avec le programme principal, on pourrait appeler l’ensemble de l’arrangement encadrant l’événement le programme cadre.
Qu’est-ce que l’Albisgüetli a en commun avec la politique étrangère suisse actuelle ? Le Conseil fédéral veut négocier un nouvel accord bilatéral avec l’UE : un accord sur l’électricité, visant à instaurer un marché européen commun de l’énergie électrique. Ce serait en quelque sorte le programme principal. Sauf qu’en réalité, le Conseil fédéral poursuit par ces négociations un but bien différent : il compte en effet conclure simultanément un « accord-cadre » avec l’UE. Malheureusement, cet accord-cadre est moins sympathique que le programme tombola-saucisse à l’Albisgüetli – et surtout moins inoffensif. Que veut donc le Conseil fédéral, qui se garde bien de nous le dire directement ?
Masquer ses intentions
Le communiqué de presse publié par le Conseil fédéral le 25 avril de cette année était on ne peut plus concis. Son titre : « Le Conseil fédéral adopte les principes applicables aux solutions institutionnelles avec l’UE ».
Or le Conseil fédéral n’a jusqu’à ce jour jamais publié de quels principes il s’agissait exactement. Uniquement ce résumé sous forme de communiqué de presse. On peut y lire : « Ces principes ont notamment trait à l’uniformité (homogénéité) de l’application et de l’interprétation des dispositions ancrées dans les accords bilatéraux, aux développements du droit, à la surveillance de l’application des accords bilatéraux et au règlement des différends. »
Tout cela paraît très technique et apparemment inintéressant. Et c’est bien à dessein que cette formulation a été choisie. Car ces principes sont en réalité une bombe à retardement : le Conseil fédéral a l’intention de renoncer à la souveraineté de la Suisse. Subrepticement. Par la petite porte. Ce que le Conseil fédéral vend comme des « solutions institutionnelles » ne signifie rien d’autre que nous devrons de fait reprendre le droit européen. Le droit européen existant et le droit européen futur. C’est une mise sous tutelle du souverain, de nous autres citoyens et citoyennes suisses.
« Adhésion sans réserve à l’UE »
Il y a vingt ans à peu près, la grande votation sur l’EEE était imminente. Le Conseil fédéral voyait alors le seul salut de la Suisse dans une adhésion à l’Espace Économique Européen. Il existe une différence essentielle entre le débat autour de l’EEE et la politique européenne de l’actuel Conseil fédéral : en 1992, le gouvernement déclarait ouvertement son véritable objectif, à savoir l’adhésion à l’UE.
Ainsi, on peut lire dans le Message du 18 mai 1992 relatif à l’approbation de l’accord sur l’Espace économique européen : « Nous ne considérons pas notre participation à l’EEE comme le but ultime de notre politique d’intégration, mais comme une étape importante de cette politique qui devrait trouver son prolongement dans une appartenance pleine et entière de la Suisse à la CE. »
En outre, le Conseil fédéral expose clairement dans son Message la place du droit suisse par rapport à la jurisprudence européenne : « L’accord EEE est un accord consacrant une large reprise du droit communautaire par les pays de l’AELE. En conséquence, nos conditions-cadre économiques et sociales doivent être adaptées au droit de l’accord et, condition d’homogénéité de l’EEE, elles devront dorénavant rester autant que possible euro-compatibles. »
Ces formulations et intentions vous semblent-elles familières ? Ce sont là exactement les mêmes principes, sous une forme un peu moins cryptée, que le Conseil fédéral a adoptés en avril : « Ces principes ont notamment trait à l’uniformité (homogénéité) de l’application et de l’interprétation des dispositions ancrées dans les accords bilatéraux, aux développements du droit, à la surveillance de l’application des accords bilatéraux et au règlement des différends. »
La lettre d’Evelyne Widmer-Schlumpf à la Commission européenne
Le Conseil fédéral 2012 ne veut rien d’autre que ce que le souverain suisse avait rejeté en 1992 : l’EEE, la reprise du droit européen, autorité de surveillance incluse.
Le Conseil fédéral le sait bien mais il ne l’admet pas de manière officielle. Uniquement derrière les coulisses. C’est ce que montre une lettre de la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf, publiée par la Weltwoche. Le courrier a été envoyé le 15 juin au président de la Commission UE Manuel Barroso. Mme Widmer-Schlumpf y fait non moins de dix références à l’EEE. Toutes les solutions proposées, écrit le Conseil fédéral à la Commission UE, correspondent au « système instauré dans le cadre de l’EEE », sont « semblables à ce qui figurait dans l’Accord EEE » ou « s’inspirent largement des règles régissant l’EEE » et sont axées sur un « objectif d’homogénéité semblable à ce qui figure dans l’Accord EEE ».
Il convient pour conclure de rappeler ce que représente l’EEE, comment le Conseil fédéral le voyait à l’époque et ce qu’il est encore aujourd’hui : le lien entre l’EEE et la CE « réside dans le fait que l’EEE constitue une préparation optimale à l’adhésion, car l’EEE contient déjà la majeure partie de l’acquis communautaire qui deviendrait le nôtre en cas d’adhésion » et « [nous] ne considérons pas notre participation à l’EEE comme le but ultime de notre politique d’intégration, mais comme une étape importante de cette politique qui devrait trouver son prolongement dans une appartenance pleine et entière de la Suisse à la CE » (Rapport et Message du Conseil fédéral, 1992).
Les objectifs sont restés identiques. Seule la tactique a changé. Notre mission sera désormais de lutter contre l’accord-cadre sur l’énergie électrique. Il s’agit en effet d’une nouvelle manière pernicieuse de réduire notre souveraineté à néant.