En Suisse, comme dans la plupart des pays européens, la majorité des élites et des cohortes grandissantes de nos contemporains proclament que nous sommes entrés dans l’ère de l’ultralibéralisme, de…
En Suisse, comme dans la plupart des pays européens, la majorité des élites et des cohortes grandissantes de nos contemporains proclament que nous sommes entrés dans l’ère de l’ultralibéralisme, de la désolidarisation et du démantèlement de l’Etat social, causes fondamentales de tous nos maux.
Mais en est-il véritablement ainsi ? Deux grands indicateurs, certes imparfaits mais révélateurs, rendent compte du degré de libéralisme d’un pays : le taux des prélèvements obligatoires et l’inflation législative.
Augmentée des contributions que nous payons aux caisses-maladie et à la prévoyance professionnelle, la part du Produit intérieur brut (PIB) que l’Etat et les assurances sociales prélèvent sous forme d’impôts et de cotisations a passé de 37 % en 1995 à 41 % en 2008. Sur cinq francs que nous gagnons, nous en cédons plus de deux à l’Etat – au sens large – pour financer ses tâches, les infrastructures collectives et la redistribution de la richesse nationale. Entre 1970 et 2008, les dépenses publiques ont crû de 23,7 % à 37,6 % du PIB, les seules dépenses sociales de 6,5 % à 15,7 % du PIB.
Derrière les chiffres se cachent toujours des êtres humains, des situations concrètes, des souffrances, des peurs et des frustrations.
Mais les données susmentionnées témoignent de l’emprise croissante de l’Etat sur la société et du rétrécissement constant de la libre affectation des revenus personnels.
Cette réalité est amplifiée par la multiplication des dispositions légales contraignantes. Plusieurs nouvelles lois représentent une mise sous tutelle subtile des personnes. Elles tendent à prescrire aux individus des comportements naguère laissés à leur libre appréciation.
Le concordat HarmoS impose aux parents de scolariser leurs enfants de quatre ans alors qu’il aurait fallu se borner à leur offrir cette possibilité sans les y obliger.
Dans quelques années, tous nos véhicules seront équipés d’un mouchard qui enregistrera par le détail nos déplacements. Des caméras de surveillance sont installées chaque jour. Ces mesures inquiétantes constituent un empiétement dangereux de la sphère privée.
Ces tendances profondes montrent que nous ne vivons pas du tout à l’ère de l’ultralibéralisme. Le domaine sociétal est le seul au sujet duquel il est pertinent de parler d’ultralibéralisme. Mais ce concept ne convient d’aucune manière pour caractériser le champ socio-économique.
Si l’on veut pointer du doigt les facteurs responsables de certaines de nos difficultés, il convient de désigner non pas l’ultralibéralisme, qui est une pure vue de l’esprit, mais bien plutôt la mondialisation, le capitalisme spéculatif ou les comportements délétères de certains acteurs économiques qui en viennent à vouloir « faire de l’argent avec pas d’argent ».
Lorsque les décideurs économiques et d’autres individus sans scrupules usent de la liberté sans accompagner son exercice du sens des responsabilités, ils finissent par la rendre odieuse au grand nombre, mettant ainsi la démocratie libérale en danger.