La faiblesse conjoncturelle d’importants partenaires commerciaux de la Suisse se répercute sur l’économie helvétique, quoiqu’avec un léger retard.
La faiblesse conjoncturelle d’importants partenaires commerciaux de la Suisse se répercute sur l’économie helvétique, quoiqu’avec un léger retard. Ce n’est pas une surprise. Nombre de commentateurs voient dans l’"insécurité" créée par des décisions du peuple une des causes du ralentissement économique probable de ces prochaines années. Or, la principale menace pour l’économie helvétique provient bien plus des constants efforts politiques visant à éliminer les différences entre la Suisse et les autres Etats et espaces économiques. Dans quels domaines la Suisse parviendra-t-elle encore à se distinguer des autres économies dans une dizaine d’années? Quelles sont les caractéristiques particulières qui font le succès de l’économie suisse? Le Conseil fédéral et le Parlement éludent ces questions essentielles. Cette attitude est fatale.
Les perspectives économiques se ternissent. Quelques politiques et journalistes, qui n’ont manifestement pas une très haute opinion des capacités de discernement de leurs électeurs et de leurs lecteurs, imputent la cause de ce ralentissement conjoncturel à la votation du 9 février. C’est absurde. Aucun point de l’initiative "contre l’immigration de masse" n’a été appliqué jusqu’ici. L’immigration en Suisse bat chaque année de nouveaux records. La Suisse est interconnectée et ouverte comme jamais dans son histoire. Durant la seule année 2013, elle a conclu 429 nouveaux accords internationaux et en a adapté 212 autres. Parler d’isolement dans ces conditions est un non-sens.
Jamais encore la Suisse n’a été aussi égale aux autres
Mais la Suisse ne s’est pas seulement rapprochée des autres Etats par des contrats. En politique intérieure également, elle a pris un chemin qui fait disparaître de plus en plus de différences par rapport à l’étranger. Des tournures aussi creuses que prétentieuses que "conformité", "level playing field" ou "respect des standards internationaux" cachent en réalité un alignement systématique sur les règles d’autres Etats ou communautés d’Etats. S’aligner ou harmoniser signifie supprimer des différences. Un exemple illustrant ce propos: lorsqu’au printemps 2012, le Conseil fédéral a décidé d’ouvrir des négociations avec l’UE sur des questions institutionnelles, il n’avait à la bouche que les mots de "homogénéité", "espace de droit commun" et "règles aussi uniformes que possible", reprenant en cela textuellement le discours de la Commission européenne. Or, pour la partie la mieux placée, une telle harmonisation signifie presque toujours nivellement par le bas, donc abandon d’avantages et d’atouts. Se pose alors forcément la question de savoir ce que l’on obtient en contrepartie de cette harmonisation. Si cette question n’est pas posée ou si elle n’obtient pas de réponse satisfaisante, l’harmonisation n’est qu’un but en soi qui n’a aucune utilité, pire qui provoque la perte d’avantages. Et, parallèlement, elle renforce la régulation, la bureaucratie et le centralisme. La liberté individuelle, valeur centrale d’une société performante où il fait bon vivre, est sacrifiée sur l’autel de l’harmonisation.
Repu et fatigué
Peut-être le monde politique et l’administration sont-ils fatigués de la pression permanente de l’étranger. Peut-être cherchent-ils le calme et la reconnaissance et croient ainsi pouvoir sauvegarder la prospérité sans effort. L’harmonie, c’est vivre dans une entente agréable avec les autres. Mais elle a son prix dans un monde où chacun défend ses intérêts sans lésiner sur les moyens. Le succès fait forcément des envieux. Nombre d’entre nous ne semblent pas encore avoir compris à quelle cadence effrayante les atouts, qui ont fait le succès de l’économie suisse, sont gaspillés. Avec la place financière suisse, nous sommes en train d’"harmoniser" une branche entière et d’en menacer les fondements. L’abandon du secret protégeant les clients étrangers des banques est suivi de l’échange automatique d’informations et de la reprise de régulations de protection des consommateurs qui sont autant de mises sous tutelle étrangères jusqu’ici au droit suisse. Au lieu de défendre la souplesse du marché du travail, la politique impose aux entreprises de plus en plus de régulations et de contrôles qui font avant tout plaisir aux syndicats. La libre circulation des personnes a ouvert grandes les portes à des contraintes régulatrices que nous étions jusqu’ici fiers d’avoir évitées en considérant les exemples navrants de la France ou de la Grande-Bretagne.
L’étape suivante sera la révision du droit des sociétés anonymes qui imposera des règles de comportement aux firmes internationales ou des quotas féminins dans les organes des entreprises. Des lois et autorités de surveillance pénètrent de plus en plus l’économie et permettent aux autorités politiques d’intervenir dans les décisions entrepreneuriales. Le système fiscal, qui était jusqu’ici un des grands atouts de la Suisse dans la concurrence internationale, ne devrait plus se distinguer à l’avenir de celui des autres pays, s’il en va selon la volonté de la politique. Assumant des dépenses croissantes et confronté aux problèmes structurels des institutions sociales, l’Etat suisse est lui aussi en train de s’engager sur la voie qui a conduit la majorité des pays étrangers dans des crises graves. Pendant ce temps, le franc suisse reste lié à l’euro. Voilà sans doute une des formes les plus extrêmes de l’harmonisation qui restreint massivement la marge de manœuvre de la politique monétaire.
L’avantage de la démocratie directe
On a aussi du mal à comprendre pourquoi les avantages longtemps appréciés et honorés de notre système politique sont tout à coup considérés comme des inconvénients: la démocratie directe, les droits du peuple, le système de milice ou encore la neutralité sont aujourd’hui remis en question, voire carrément dénigrés par des élus politiques, des représentants d’associations et des experts de tous les bords. Dans la population, en revanche, notre système jouit toujours d’une haute considération et forme une partie essentielle de notre identité nationale. A l’étranger, on n’envie pas seulement la Suisse pour sa prospérité, mais des milieux de plus en plus larges se rendent compte de la valeur des acquis de la démocratie directe. Ce système était et reste un symbole de la différence par rapport à l’étranger, de l’autodétermination citoyenne, des rapports privilégiés entre l’Etat et les citoyens ainsi que de la stabilité du pays.
Le fait que certaines décisions du peuple ne sont pas conformes à la volonté du gouvernement et du Parlement n’est certainement pas un indice valable annonçant une imprévisibilité et une insécurité croissantes. Il y a de bien meilleures raisons de penser que la critique de certaines décisions du souverain constitue pour nombre de politiques, de représentants des autorités, de fonctionnaires et de managers une occasion bienvenue de détourner l’attention de leurs propres défaillances. Nous pouvons donc nous attendre tranquillement à ce que le oui à l’initiative "contre l’immigration de masse" serve encore longtemps de bouc émissaire pour toutes sortes d’événements politiques ou sociaux. Il en était d’ailleurs également ainsi pendant une bonne partie des années nonante après le refus populaire de l’EEE.
Le courage d’assumer la différence suisse
Aussi, les grands risques de ces prochaines années ne proviennent-ils pas de la volonté de se différencier, mais sont bien plus la conséquence de l’abandon successif de caractéristiques particulières qui marquent encore l’économie et l’Etat suisse. Ces facteurs qui font la différence sont d’autant plus importants que la concurrence mondiale se durcit et que la Suisse, site de production cher et dépourvu de matières premières, est dans l’obligation de compenser des faiblesses en termes de concurrence. Tant le monde politique que les associations économiques manquent actuellement d’une stratégie claire et aussi de la volonté d’exploiter de manière créative les conditions uniques de la Suisse pour prolonger le succès de notre pays.