Les motivations à la base de la nouvelle loi sur l’entretien des enfants suscitent de nombreuses questions. Veut-on effectivement, comme on l’affirme officiellement, renforcer la position juridique des enfants et leur assurer le meilleur entretien possible?
Les motivations à la base de la nouvelle loi sur l’entretien des enfants suscitent de nombreuses questions. Veut-on effectivement, comme on l’affirme officiellement, renforcer la position juridique des enfants et leur assurer le meilleur entretien possible? Ou s’agit-il en réalité d’un chapitre de plus dans la "lutte des sexes"? Veut-on, comparativement à aujourd’hui, augmenter systématiquement à la charge des pères les pensions alimentaires pour les enfants? Ou prévoit-on une nouvelle "bureaucratie d’accompagnement des enfants" pour renforcer la position des services sociaux au détriment des parents? Ou, enfin, s’agit-il tout simplement d’une attaque frontale contre l’institution de la famille?
Quoiqu’il en soit: nous risquons de commettre une erreur aux conséquences extrêmement graves avec cette nouvelle loi.
L’exemple du droit de la tutelle devrait servir d’avertissement
Le 1er janvier 2013, nous avons modifié le régime de la tutelle. En réalité, nous avons remplacé un système, qui a fait ses preuves et qui fonctionnait bien, par une structure juridique complexe et irréaliste. Avec les conséquences catastrophiques dont on se rend compte aujourd’hui et qui, prétendument, n’étaient pas prévisibles. Tout le monde s’en plaint: les cantons, les autorités de tutelle, les juristes, les tribunaux. Les services de protection des enfants et des adultes sont totalement surchargés; la bureaucratie explose et les pouvoirs publics réclament une masse de postes de travail supplémentaires.
Le simple bon sens humain nous dit que nous sommes en train de provoquer un chaos encore bien plus grand avec la nouvelle législation sur l’entretien des enfants. Des milliers de personnes concernées – avocats, collaborateurs des tribunaux, membres des autorités, étudiants, etc. – se demanderont ce que l’on voulait avec cette nouvelle loi sans directives claires. Jusqu’ici, on pouvait, en cas d’éclatement d’un couple ou en présence d’un enfant né hors mariage, expliquer aux pères et aux mères de manière relativement rapide et fiable quelles obligations financières les attendaient. A l’avenir, des armées de juristes et membres d’autorités devront mener des discussions sans fin sur ce qu’il y a lieu de décider.
La contribution d’entretien n’est plus calculable
La sécurité du droit est un des biens juridiques les plus précieux – également dans la question du montant des pensions alimentaires. Si le législateur abandonne toute la procédure aux tribunaux, il ne fait pas correctement son travail. Si même les tribunaux et les avocats ne savent pas exactement comment fonctionne la nouvelle méthode de calcul, les portes sont grandes ouvertes à l’arbitraire et on peut prévoir d’avance une mise en œuvre longue et pénible du nouveau régime légal.
Alors que nous venons d’introduire le principe du droit de garde commun, nous disons dans la nouvelle loi sur l’entretien des enfants que chaque partenaire du couple doit assurer selon ses moyens l’entretien des enfants. La nouvelle notion d’"entretien équitable" est aussi totalement abstraite. Contrairement au droit en vigueur, qui a été concrétisé par un grand nombre de jugements de tribunaux, on provoque ainsi une grande insécurité du droit.
Législation chaotique – conséquences chaotiques?
Prenons n’importe quel exemple concret tel qu’il se présente des dizaines de milliers de fois dans la pratique: lorsqu’un homme, qui réalise par exemple un revenu mensuel de 6000 francs, veut savoir combien il doit payer pour un enfant qui ne vit pas ou plus avec lui, on pouvait jusqu’ici lui conseiller concrètement qu’une pension mensuelle de 900 francs (15% du revenu) serait une somme adéquate. Le montant de 900 francs fut alors inscrit dans le jugement de divorce ou dans le contrat de divorce et l’affaire était réglée.
Cette situation fort simple aujourd’hui sera infiniment plus compliquée à l’avenir. Même les membres du Parlement fédéral ne sauront pas, en adoptant la nouvelle loi, quels chiffres s’appliqueront en pareil cas. La loi dit uniquement en substance que des contributions d’entretien équitables doivent être fixées en fonction des différents contextes et des différents besoins qui peuvent changer constamment. Dans la Commission des affaires juridiques du Conseil national qui a examiné ce projet de loi, il n’a pas été possible de donner un seul exemple chiffré indiquant clairement quels seront les bases de calcul des contributions d’entretien. Il faut, nous a-t-on dit, distinguer entre entretien équitable, besoins financiers équitables, besoins d’entretien équitables et contributions d’entretien qui en résultent. Mais la loi ne donne aucune indication utile sur la manière dont devront se présenter les conventions de divorce ou contrats d’entretien. Les tribunaux devront "inventer" des méthodes de calcul totalement nouvelles et inscrire une foule de chiffres dans leur jugement: l’entretien équitable (combien coûte un enfant au total), combien doit payer le père (si l’enfant vit près de sa mère ou inversement), combien il doit payer en fonction de son revenu du moment (il sera responsable de la différence s’il augmente son revenu par la suite). Et surtout, le jugement devra stipuler si et dans quelle mesure la contribution d’entretien doit être adaptée à l’évolution du coût de la vie. Quelle bureaucratie faudra-t-il mettre en place pour vérifier tout cela!?
Les manquements
Les services sociaux sont fréquemment obligés d’intervenir si le père et la mère doivent financer deux ménages séparés. Les auteurs du projet de loi mélangent consciemment ou inconsciemment la question de savoir qui a une dette envers le service social et la question de la pension alimentaire équitable. Ce mélange n’est pas justifié matériellement, car, dans la conception suisse du droit, l’obligation de rembourser les avances faites par les services sociaux, d’une part, et la question de la pension alimentaire réglée par le droit civil dont il s’agit dans ce projet de loi, d’autre part, sont des domaines fondamentalement différents. Un exemple pour illustrer ce propos: une personne, dont les parents âgés sont soutenus par le service social, devra éventuellement rembourser une certaine somme à l’Etat en raison de l’obligation légale qui lui est faite de soutenir des membres de sa famille. Cette obligation n’a cependant aucun rapport avec ce qu’il doit éventuellement à ses parents, aspect réglé par le droit civil.
Les discussions menées au sein de la Commission des affaires juridiques sur les "manquements" en termes de versement des pensions alimentaires passaient à côté du sujet. La question de savoir si et, le cas échéant par qui les sommes avancées par l’Etat doivent être remboursées peut être réglée en dehors du régime des pensions alimentaires.
Quels sont les vrais motifs de cette révision? Une attaque contre l’institution de la famille?
Ce projet de réforme légale est présenté sous le prétexte d’un renforcement des droits des enfants. Il est à craindre que les vrais motifs ne soient très différents. D’une part, on assiste au développement d’une mentalité voulant que des juristes et des autorités se mêlent – comme dans le droit de la tutelle – de tout et de n’importe quoi et "accompagnent" l’enfant jusqu’à sa maturité avec des frais bureaucratiques énormes. Lorsqu’une conseillère nationale de droite affirmait qu’avec une telle loi on pourrait tout aussi bien remettre l’enfant au bureau communal, elle a peut-être exagéré, mais il est vrai que ce dangereux développent bureaucratique va bien dans ce sens.
D’autre part, des motifs idéologiques semblent également avoir participé à la préparation de cette réforme. Il est frappant en effet de relever dans le contexte de cette révision les virulentes critiques lancées contre le prétendu manque de progrès dans la réalisation de l’égalité des sexes. En outre, il faut craindre que les habituels milieux hostiles à l’institution de la famille aient aussi eu leur mot à dire. Ou, en d’autres termes: la conclusion d’un mariage ne doit apporter ni avantage, ni inconvénient aux partenaires et à l’enfant. Les pensions alimentaires seraient ainsi également dues entre concubins, et même dans les cas où les partenaires n’ont jamais habité ensemble ou se connaissaient à peine. Voilà une attaque dangereuse contre la famille que les partis politiques bourgeois ne doivent en aucun cas accepter.