Le Conseil fédéral a publié le 4 juillet 2012 son rapport concernant la libre circulation des personnes et l’immigration en Suisse. Une lecture rapide de ce rapport met en évidence l’argumentation…
Editorial par Miriam Gurtner, secrétaire du groupe parlementaire UDC
Le Conseil fédéral a publié le 4 juillet 2012 son rapport concernant la libre circulation des personnes et l’immigration en Suisse. Une lecture rapide de ce rapport met en évidence l’argumentation partisane des auteurs qui à aucun moment ne cherchent une discussion véritablement objective sur les avantages et les inconvénients de l’immigration. Mais une analyse approfondie jette une lumière crue sur les lacunes de cette argumentation.
Le Conseil fédéral relève que son rapport satisfait aux postulats 09.4301 Girod (« Rapport sur les effets de la libre circulation des personnes »), 09.4311 Bischof (« Sauvegarder la migration en matière de migration. Contrôler l’immigration et le retour ») ainsi qu’à la motion 10.3721 Brändli (« Stabiliser l’immigration »).
Le fait est que ce rapport ne satisfait d’aucune manière la motion Brändli que les deux chambres ont approuvée. Cette intervention charge le Conseil fédéral de proposer des mesures pour reprendre le contrôle de l’immigration de ces dernières années. Dans le développement de la motion, il est dit concrètement que le Conseil fédéral doit faire des propositions sur la manière de stabiliser la population de la Suisse à un niveau raisonnable.
Le rapport du Conseil fédéral n’évoque aucune mesure visant à stabiliser l’immigration, mais suggère uniquement des mesures servant à endiguer les effets de l’immigration ou ciblées sur des problèmes secondaires. En revanche, le Conseil fédéral ne propose aucune intervention contre l’immigration massive à laquelle il faut s’attendre dans les années à venir. Il estime que l’économie est seule responsable de cette immigration.
Comparaisons indéfendables
Pour soutenir son affirmation, selon laquelle l’immigration de ces dernières années n’est pas si forte, le Conseil fédéral compare l’immigration intervenue depuis 2002 (libre circulation des personnes entre l’UE-17 et la Suisse) à celle des années 1960 à 1974. Il constate que l’immigration durant les années soixante était en moyenne de 20 000 plus élevée par an que ces dernières années, soit de 140 000 contre 120 000 personnes. C’est oublier que la libre circulation des personnes n’était pas complètement en vigueur entre 2002 et 2007. Des contingents et autres mesures de protection étaient encore en vigueur jusqu’au milieu de l’année 2007. Si on prend en considération les années 2007 à 2010, on relève une immigration de plus de 145 000 personnes. Malheureusement, le Conseil fédéral ne cite que les chiffres de l’immigration brute et passe sous silence l’émigration. Dans l’ancien système, un étranger ayant perdu son emploi rentrait immédiatement dans son pays. Au plus tard en cas de crise (par exemple en 1974 lors de la crise pétrolière), les travailleurs étrangers quittaient la Suisse. Tel ne sera pas le cas avec les immigrés de ces dernières années. Ceux-ci chercheront à profiter aussi longtemps que possible des généreuses prestations sociales suisses auxquelles ils ont droit grâce à l’accord de libre circulation des personnes.
Le rappel de la longue tradition de la migration économique en Suisse indique surtout que l’immigration de main-d’œuvre étrangère a toujours parfaitement fonctionné même avant les accords de libre circulation. Cette comparaison historique met en évidence la grande différence entre la libre circulation des personnes et l’ancien système: tous les citoyens UE ont désormais droit à une activité et au séjour en Suisse ainsi qu’à toutes nos prestations sociales (Les citoyens UE touchent les premières prestations sociales après avoir travaillé au moins un jour en Suisse et s’ils ont cotisé les 12 mois précédents dans une caisse-chômage d’un pays UE), mais l’Etat n’a plus aucun moyen de contrôler la migration.
Le Conseil fédéral fait encore une autre comparaison trompeuse entre le solde migratoire et le développement économique du pays. En comparant la courbe conjoncturelle avec la courbe du solde migratoire, on se rend compte immédiatement que ce procédé n’est pas correcte.
Alors que la conjoncture a fortement baissé en 2009 surtout, le solde migratoire est resté à un niveau excessivement élevé cette même année. Il n’existe pas non plus d’explication conjoncturelle pour la forte hausse du solde migratoire en 2002 et 2008. En revanche, le lien entre l’immigration et la libre circulation des personnes saute aux yeux. Cette dernière a été introduite en 2002, mais avec des mesures de protection. En 2008, ces mesures ont été levées pour les pays UE-17, si bien que la libre circulation sans limite a commencé à fonctionner. Il est faux et hypocrite d’expliquer cette immigration par les seuls besoins de l’économie. Le Conseil fédéral admet certes qu’une partie au moins de l’immigration de 2008 est due aux effets uniques de la levée des contingents, mais il ajoute immédiatement qu’il s’agit des conséquences d’un besoin de rattrapage précisément en raison des contingents imposés auparavant.
Une fois de plus, le Conseil fédéral souligne le niveau de formation élevé de la population étrangère exerçant une activité lucrative en Suisse. Le nombre de personnes détenant un diplôme universitaire a augmenté dans tous les pays OCDE. En Allemagne, cette proportion a passé de 14% en 1995 à 25% en 2008. Au Portugal, le deuxième pays d’origine des immigrants, le taux de diplômés universitaires a même triplé pour passer de 15% en 1995 à 45% en 2008 (Education at a Glance 2010: OECD Indicators http://dx.doi.org/10.1787/888932310130).
Rien d’étonnant donc à ce que la proportion d’universitaires augmente parmi les immigrants. Mais pour constater si un travailleur est effectivement recherché en Suisse, il ne faut pas se référer à sa formation scolaire, mais au travail qu’il effectue. En quoi le marché du travail suisse profite-t-il si une serveuse dans un café est titulaire d’un diplôme universitaire en sociologie? Ces exemples sont malheureusement fréquents et ils nuisent finalement au marché du travail en ce sens que des Suisses (ou des étrangers déjà établis) ayant une formation scolaire moins poussée et qui feraient volontiers ce travail sont évincés du marché du travail. Cette situation conduit à des distorsions sur le marché du travail et à une éviction massive des travailleurs moins qualifiés. Preuve en est également le taux de chômage exceptionnellement élevé de 13,7% que l’on enregistre parmi les travailleurs peu qualifiés de pays tiers.
Source: ILO, chiffres 1er trimestre 2012
Le Conseil fédéral fait le panégyrique du système d’admission dual
Le Conseil fédéral explique ensuite que, grâce au système d’admission dual, l’immigration en provenance de l’UE a été largement libéralisée, alors que l’immigration complémentaire en provenance de pays tiers se limite à des personnes particulièrement bien qualifiées. Malheureusement ce système ne fonctionne pas aussi bien que le prétend le Conseil fédéral. Via le regroupement familial et par la voie de l’asile, un nombre croissant de personnes originaires de pays tiers arrivent en Suisse alors qu’en vertu du système d’admission dual elles n’y auraient pas droit. 59,4% des ressortissants d’Etats tiers sont arrivés en Suisse en 2010 grâce au regroupement familial ou comme réfugiés reconnus ou cas de rigueur. Des personnes n’ayant aucune qualité de réfugié déposent une demande d’asile en Suisse et, par la grâce de la longue durée des procédures, peuvent séjourner sans visa durant des mois, voire des années dans le pays. Nombre d’entre eux sont admis provisoirement, peuvent travailler et même faire venir leur famille. Aussi longtemps que la Suisse ne reprend pas le contrôle de l’immigration via l’asile, le système d’admission dual est inefficace. Preuve en est aussi la statistique de l’immigration: malgré la libre circulation des personnes avec l’UE, l’immigration en provenance d’Etats tiers est aujourd’hui plus élevé qu’à la fin des années nonante.
Le Conseil fédéral enjolive aussi les conséquences de l’actuelle immigration de masse en Suisse. Par exemple concernant les institutions sociales en ne soufflant mot de la forte proportion de bénéficiaires étrangers. Le gouvernement devient carrément grotesque lorsqu’il ose prétendre que l’immigration ne joue aucun rôle dans la surcharge des chemins de fer, mais que ce développement s’explique par le nombre croissant de pendulaires. Or, s’il y a plus de pendulaires, c’est parce que de nombreux résidents sont repoussés vers la périphérie. Les pendulaires ne voyagent pas pour le plaisir, mais parce qu’ils y sont contraints.
L’appréciation des éventuelles alternatives par rapport au système actuel est particulièrement unilatérale. Les avantages des alternatives sont à peine mentionnés, si bien que la conclusion est d’emblée évidente. Concernant le modèle à un seul cercle, donc un système sans contingentement, il est intéressant de relever que le Conseil fédéral se sert des mêmes arguments que les critiques de la libre circulation des personnes. Il relève en effet qu’un libre accès au marché du travail réduirait fortement les moyens de contrôle de l’Etat et entraînerait un risque de dumping social et salarial. Il va de soi que le gouvernement ne précise pas pourquoi ces problèmes seraient générés par un travailleur indien, mais non pas par un travailleur roumain. Encore plus étrange l’argumentation contre le modèle à trois cercles que la Suisse appliquait entre 1991 et 1996. Les pays d’origine y sont répartis en trois classes de priorité (par ex., UE/AELE, Amérique du Nord, reste du monde). Le Conseil fédéral rejette aujourd’hui ce modèle parce que, dit-il, la compétitivité de l’économie suisse ne dépend pas de la nationalité, mais de la qualification de la main-d’œuvre. Voilà certainement un bon argument aussi contre le système d’admission dual pratiqué aujourd’hui.
Des moyens de contrôle qui n’en sont pas
Le Conseil fédéral mentionne dans son rapport un nombre incroyable de moyens de contrôle. En y regardant de plus près, on constate très vite que, soit le Conseil fédéral ne s’en sert pas, soit ils n’ont que des effets marginaux, soit ils sont politiquement insensés.
Conclusion
l’argumentation avancée contre les avis contraires et les objections est truffée de contradictions.
On connaît la prédilection des partis politiques et comités à publier des argumentaires soutenant sélectivement leurs exigences et donnant une vision unilatérale des positions. Il s’agit d’un élément naturel de la démocratie. Mais on attend davantage d’objectivité et moins de prise de position unilatérale de la part du Conseil fédéral suisse qui est composé de représentants de cinq partis politiques et qui est censé exécuter les mandats du Parlement. L’objectif de ce rapport n’aurait pas dû être une argumentation justifiant la politique de migration actuelle, mais il aurait dû s’agir d’une réflexion sérieuse et fondée sur les avantages et les inconvénients de cette politique. Le Conseil fédéral se complait malheureusement dans un rôle de parti.