éditorial

L’idée que Conseil fédéral se fait de son propre rôle doit changer

La Suisse possède actuellement un des gouvernements nationaux les plus faibles de ces dernières décennies. Plus personne ou presque ne met en doute ce constat. Le Conseil fédéral multiplie les…

Martin Baltisser
Martin Baltisser
(AG)

La Suisse possède actuellement un des gouvernements nationaux les plus faibles de ces dernières décennies. Plus personne ou presque ne met en doute ce constat. Le Conseil fédéral multiplie les erreurs et les pannes; il semble être en constant désaccord et n’a ni la force, ni la compétence de présenter des conceptions et des stratégies pour relever les défis de notre époque. Une réforme de la direction de l’Etat et du gouvernement n’y changera rien. Le problème réside aux niveaux des conseillers fédéraux eux-mêmes qui se comportent trop souvent en francs-tireurs. Le souci de la publicité personnelle passe avant l’action du collège. C’est dire que l’idée que le Conseil fédéral se fait de son propre rôle doit radicalement changer.

Les partis gouvernementaux étaient consternés en recevant mercredi dernier, soit 39 heures avant la séance, les dossiers en vue des traditionnels entretiens de la Maison de Watteville. Pour l’unique point de discussion « Tâches de l’Etat fédéral et leur financement à moyen et à long terme », dont il avait été convenu plusieurs semaines auparavant, le Conseil fédéral s’est contenté de distribuer une version longue du communiqué publié le même jour sur les chiffres-clés du programme de consolidation gouvernemental. Cette attitude est symptomatique de l’état du gouvernement national: le Conseil fédéral n’a ni la volonté, ni la capacité de s’attaquer à des projets interdépartementaux de grande envergure. La vérification des tâches de l’Etat s’est ensablée; les départements ont depuis longtemps mis en place leurs stratagèmes pour ne pas céder un pouce de leurs acquis et leurs chefs expliquent en long et en large dans la presse dominicale pourquoi il doit en être ainsi. Un débat de fond avec les responsables de leurs propres partis n’a donc plus aucune raison d’être. Les conseillers fédéraux se sont « émancipés » de leur base. On est loin, très loin d’un gouvernement qui place l’intérêt du pays au-dessus du calcul politicien.

Chacun contre tous
Les commentateurs étaient nombreux à se réjouir de l’éviction de Christoph Blocher du Conseil fédéral en décembre 2007. L’homme qui, paraît-il, dérangeait le plus la collégialité a été écarté. Ainsi, la voie était libre pour le retour de l’harmonie et de l’esprit d’équipe. Où en sommes-nous aujourd’hui? Pas trace d’harmonie, ni d’esprit d’équipe. Le travail gouvernemental se résume en quelques escapades solitaires, en des mises en scène personnelles, des intrigues et des indiscrétions ciblées. Le prétendu collège ne parvient plus à dissimuler ses tensions internes. Avec les conséquences concrètes que l’on sait sur le travail politique du Conseil fédéral: crise libyenne, crise italienne, attaques contre la place financière suisse, pannes en série, chances ratées. Ce désastre n’est pas seulement le résultat d’échecs de membres individuels du gouvernement, mais bien plus celui de l’insuffisance du Conseil fédéral dans son ensemble. Mais comment en sommes-nous arrivés là?

Nouvelle idée du rôle du Conseil fédéral
L’idée que le Conseil fédéral se fait de son propre rôle a fondamentalement changé durant les vingt ans écoulés. L’évolution du rôle du président de la Confédération illustre ce constat. Considéré à l’origine comme un animateur des débats internes, le président de la Confédération est devenu le premier représentant de la Suisse, une sorte de super-ministre des affaires étrangères qui présente et explique la Suisse dans le public et à l’étranger. On assiste à un véritable concours entre les départements pour savoir qui va « fournir » la meilleure année présidentielle. Des interventions tapageuses dans les médias, des voyages vers des destinations politiques spectaculaires et des contacts avec les grands de ce monde sont devenus les seuls critères de classement dans cette pitoyable course au prestige et à la renommée.

Un autre changement a eu lieu dans les rapports entre les conseillers fédéraux et leurs partis. Durant ces dernières années, on a fait de la capacité d’un élu au Conseil fédéral de se distancer de ses origines partisanes une des principales caractéristiques de son aptitude gouvernementale. Les médias et le public définissent aujourd’hui comme un critère de qualité la distance qu’un conseiller fédéral réussit à mettre entre sa fonction gouvernementale et le parti auquel il doit sa carrière politique. Le fossé qui se creuse ainsi entre les membres du gouvernement et leur base politique, mais aussi le Parlement a de lourdes conséquences et, ironie de l’histoire, il restreint la marge de manœuvre des conseillers fédéraux alors qu’on en attendait l’effet contraire.

Un troisième point concerne l’absence d’éléments conciliateurs. Le président de la Confédération s’attribue, comme on vient de le constater, d’autres fonctions. Quant aux chefs des départements fédéraux, ils se contentent de défendre leur propre territoire et entrent de plus en plus souvent en collision par leur besoin de se faire valoir en public. Plus personne ne se sent réellement responsable du bon fonctionnement du collège. Le chancelier ou la chancelière de la Confédération pourrait à la rigueur sauter dans la brèche, mais cette fonction autrefois si importante pour une activité gouvernementale prudente et prévoyante a été dégradée au niveau d’un simple élément de compensation pour des revendications partisanes, régionales, linguistiques et d’égalité entre les sexes. Cela fait longtemps aussi que la Chancellerie fédérale ne joue plus le rôle qui lui incombait autrefois comme conseiller et élément disciplinant au niveau de la communication. Tout au plus met-on en marche, à la demande de l’un ou de l’autre membre du gouvernement, le Ministère public de la Confédération pour localiser une des nombreuses fuites d’informations. On tente ainsi de refouler l’évidence que le gouvernement national n’est plus qu’une passoire d’où filtrent sans résistance les informations les plus confidentielles. Cette situation est aussi le résultat du travail forcené de relations publiques par lequel les départements et leurs chefs tentent de se mettre en scène et qui n’est certainement pas propice au rééquilibrage des intérêts.

Un changement de conception est urgent
Avant que le Conseil fédéral se lance, comme annoncé, dans une réforme de la direction de l’Etat, il devrait mener une réflexion de fond sur l’idée qu’il se fait de son propre rôle. Le monde d’aujourd’hui n’est certes plus le même qu’autrefois et le passé n’était pas toujours meilleur que le présent. Cela dit, même si des valeurs comme l’humilité, la retenue et la subordination des intérêts individuels au souci du bien collectif paraissent dépassées et poussiéreuses aujourd’hui, elles sont toujours indispensables au bon fonctionnement d’un gouvernement.

Martin Baltisser
Martin Baltisser
(AG)
 
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