Compétitivité anéantie des entreprises suisses à forte consommation énergétique – augmentation des bénéfices des producteurs suisses d’électricité malgré la crise
par Roger Breu, chef logistique de l’aciérie Stahl Gerlafingen SA
Les entreprises suisses à forte consommation énergétique ont fondé de grands espoirs dans la libéralisation du marché de l’électricité. L’ouverture du marché de l’électricité devait réduire les bénéfices monopolistiques de l’économie électrique et supprimer les différences de prix de l’électricité en Suisse. C’est le contraire qui s’est produit. Propriété à 80% des pouvoirs publics, l’économie électrique suisse a réussi, malgré la crise économique et la baisse des ventes d’électricité, à augmenter encore des bénéfices qui étaient déjà très élevés avant la libéralisation. Une comparaison des prix de l’électricité payés par trois groupes internationaux de la branche du papier et de l’acier illustre en revanche la perte dramatique de compétitivité qui affecte les entreprises suisses à forte consommation énergétique.
Les entreprises suisses à forte consommation énergétique se battent pour leur survie à long terme. A la suite de la libéralisation ratée du marché de l’électricité, un avantage de l’économie nationale s’est transformé en désavantage. Avant la libéralisation, les consommateurs suisses d’électricité ont profité des prix de production modérés des usines hydrauliques et nucléaires nationales ainsi que de la position favorable de la Suisse comme plaque tournante électrique au cœur de l’Europe. Après l’ouverture du marché, les producteurs suisses d’électricité tentent de porter les prix pour leurs clients – en premier les gros consommateurs – au niveau allemand des prix alors que leurs coûts de production n’ont pas augmenté.
L’économie électrique suisse ne cesse de prétendre que les prix de l’électricité en Suisse sont parmi les plus bas d’Europe. Elle renvoie à cet effet aux statistiques correspondantes établies par la Commission européenne. Or, il n’existe tout simplement pas de statistique des prix de l’électricité pour les gros consommateurs qui achètent plus de 150 millions de kilowattheures par an. La majorité des entreprises à forte consommation électrique tombent précisément dans cette catégorie de consommateurs. Il semble que les prix de l’électricité payés par les gros consommateurs soient si secrets que même Bruxelles n’a pas le droit de les connaître. La raison est simple: presque chaque pays européen a trouvé des moyens et des voies détournées pour protéger son industrie de base contre les effets catastrophiques de la libéralisation du marché de l’électricité en Europe.
Une comparaison des prix de l’électricité payés par les différents sites de production des deux aciéries Beltrame et Schmolz + Bickenbach ainsi que par le producteur international de papier Sappi illustre la dégradation rapide de la
compétitivité subie en deux ans seulement par les entreprises à forte consommation énergétique. A la suite de la hausse des prix intervenue en 2010, les dépenses d’électricité des gros consommateurs suisses sont déjà supérieures à celles de leurs concurrents allemands et italiens. Dans cette situation, il n’est guère étonnant de voir les groupes internationaux suspendre leurs investissements dans les sites de production suisses. La disparition progressive de ces derniers est donc programmée.
A l’inverse, les bénéfices de l’économie électrique suisse ont constamment augmenté ces dernières années. Alors que l’ensemble de la branche électrique a réalisé en 2007 déjà un excédent positif de 2404 millions de francs, ce bénéfice se sera sans doute notablement accru en 2008 grâce à la forte augmentation du solde provenant du commerce extérieur. Cela n’a pas empêché ce secteur d’augmenter massivement les prix de l’électricité – notamment pour les gros consommateurs – en 2009. La hausse moyenne des prix de 10% rapporte plus de 800 millions de francs aux producteurs d’électricité. L’augmentation de « seulement » 0,2 ct./kilowattheure annoncée par l’Association des entreprises électriques suisses pour 2010 augmente les recettes de ces entreprises de plus de 110 millions de francs. Malgré la crise économique, la branche électrique suisse peut augmenter ses bénéfices. Il ressort des derniers rapports d’activité des grands producteurs d’électricité Alpiq, Axpo, BKW, CKW, EGL, Rätia Energie et Romande Energie que ces entreprises réussissent à augmenter leur rendement malgré la baisse de leurs ventes. Comme les grands producteurs électriques allemands, ces sociétés font partie des véritables profiteurs de la crise.
Les entreprises suisses à forte consommation énergétique demandent donc au législateur suisse et à la Comco de prendre rapidement des mesures efficaces contre la défaillance du marché de l’électricité et contre l’augmentation excessive des bénéfices accumulés par les producteurs suisses d’électricité. De toute évidence, les cantons et les communes, qui sont actionnaires majoritaires des entreprises électriques, n’ont pas la possibilité ou, compte tenu de leur participation aux bénéfices, n’ont pas la volonté d’imposer de la retenue aux producteurs d’électricité alors que nous vivons la plus grave crise économique depuis les années trente.
Les entreprises suisses à forte consommation énergétique saluent la décision du Conseil fédéral de réviser la loi sur l’approvisionnement en électricité. Mais faute de mesures urgentes et d’un examen rapide des interventions parlementaires déjà déposées, l’effet réducteur sur les prix de cette révision viendra trop tard pour nombre d’entreprises à forte consommation électrique.