Pour décider où on veut aller, il faut se souvenir d’où on vient et qui on est. Pour défendre ses intérêts, il faut commencer par connaître ses intérêts. Ce principe vaut aussi pour notre pays….
Pour décider où on veut aller, il faut se souvenir d’où on vient et qui on est. Pour défendre ses intérêts, il faut commencer par connaître ses intérêts.
Ce principe vaut aussi pour notre pays. D’importantes décisions attendent la Suisse, notamment en politique extérieure. Il est donc important que nous nous rappelions ce qui distingue notre pays, ce qui le rend si particulier. Et, surtout, il faut que nous nous souvenions de ce qui fait notre succès!
L’Etat suisse repose sur cinq piliers: la liberté, le fédéralisme, la neutralité armée, la démocratie directe et l’indépendance.
Ces principes font le régime libéral de notre pays. Celles et ceux qui se reconnaissent dans ce régime libéral doivent aussi en défendre les principes.
Défendre les intérêts de la Suisse signifie donc s’engager pour la démocratie directe, entretenir le fédéralisme, maintenir la neutralité armée, défendre la liberté et l’indépendance.
• Liberté
Je commence par la liberté. La liberté du citoyen est le premier de nos soucis. Depuis toujours. L’histoire de la Suisse est l’histoire de la liberté. La liberté est le but de notre Etat. Notre Etat est là pour défendre la liberté des citoyens.
Un minimum des prescriptions, un minimum d’interdictions, mais en contrepartie un maximum d’espace libre dans lequel les citoyens peuvent s’épanouir. Personnellement et professionnellement. Voilà notre recette pour un maximum de qualité de la vie et de prospérité.
Vous le voyez bien: liberté est presque synonyme de Suisse. La Suisse a toujours été plus libérale que les autres pays. Il y a des siècles on parlait déjà de la « liberté suisse ». Notre liberté nous a toujours valu de la jalousie, de l’envie et même de l’animosité. Mais aussi de l’admiration. Et, surtout, elle nous a apporté un succès unique au monde. Pays pauvre en matières premières, la petite Suisse est devenue au fil des ans un des pays les plus riches du monde.
Nous devons constamment défendre notre liberté. Contre des agressions intérieures et extérieures. Bien sûr, personne n’avoue ouvertement qu’il veut nous prendre notre liberté. On s’efforce de cacher cette intention honteuse derrière de belles paroles. On nous dit par exemple qu’il faut plus de justice. Ou plus d’efficacité. Ou on se contente de nous dire que nous devons aller avec notre temps.
Mais ces propos lénifiants ont presque toujours la même signification: plus de justice égale plus de lois, plus de redistribution, plus d’impôts. Plus d’efficacité signifie, du moins à la Berne fédérale, plus de fonctionnaires. Et aller avec son temps veut dire céder la souveraineté à l’étranger.
Quand ces prétextes n’ont pas d’effets, on nous dit que nous devons céder aux pressions extérieures: dans le droit des armes, nous nous sommes soumis aux dispositions de l’accord de Schengen et de l’ONU; le passeport biométrique nous a été imposé par Schengen et les Etats-Unis; s’agissant de la sphère privée et du secret protégeant les clients des banques, les pressions sont venues de l’UE, des USA, de l’OCDE, etc., ou toute autre combinaison de lettres que nous offre l’alphabet.
Ce développement n’est certainement pas dans l’intérêt de notre pays. Nous ressentiront doublement cette perte de liberté: dans un premier temps, par la multiplication des restrictions et des interdictions dans notre quotidien, puis par la baisse de la prospérité.
• Fédéralisme
Le deuxième principe est le fédéralisme. Le fédéralisme est pour nous un moyen de conserver un Etat svelte et proche des citoyens. Le problème est résolu là où il se manifeste. Par les personnes concernées, par les gens qui connaissent la situation et qui doivent ensuite vivre avec la solution retenue. Voilà qui évite des décisions irréalistes.
Mais le fédéralisme subit le même sort que la liberté. On ne l’attaque pas de front, mais on le mine sournoisement. L’atteinte la plus grave à la souveraineté cantonale de ces dernières années portait le nom anodin de réforme du fédéralisme. D’innombrables propositions du Parlement et d’affaires du Conseil fédéral comportent entre les lignes un renforcement du centralisme.
Les instructions venant d’en haut et de très loin remplacent les décisions démocratiques des cantons et des communes. Et cette tendance se poursuit au niveau international – la compétence que le canton délègue à la Berne fédérale, cette dernière la délègue à Bruxelles…
Ainsi, un comité de « comitologie » de l’UE décide, sur la base de l’accord de Schengen, des contrôles d’entrée dans nos aéroports ou du droit d’accès aux données enregistrées par les autorités sur les citoyens. Personne ne sait très bien qui siège dans ce comité. Nous ne savons qu’une chose avec certitude: la Suisse n’y a pas droit de vote.
Ce développement n’est pas non plus dans l’intérêt du pays. Des caractéristiques traditionnelles sont nivelées, des particularismes régionaux sont abandonnés. Le centralisme apporte des règlementations rigides et réduit la souplesse. La diversité est remplacée par l’uniformité.
• Neutralité armée
Le troisième principe est la neutralité armée. La Suisse est un petit Etat. Elle n’a pas les moyens de mener une politique de grande puissance. Et n’oublions pas que la politique mondiale n’est pas un jeu: il s’agit de la vie et de la mort de soldats; il en va de l’existence d’Etats.
La Suisse a choisi une stratégie de survie intelligente. Et cela il y a plusieurs siècles déjà, après la défaite de Marignan. Cette stratégie s’appelle la neutralité armée. Nous avons une armée pour nous défendre, mais nous ne nous mêlons pas de conflits étrangers.
Nous avons complété la neutralité armée par les Bons offices. La Suisse se propose comme médiatrice et met son territoire à disposition pour des conférences de paix. Sur les champs de bataille du monde entier on ne trouve pas de soldats suisses, mais on voit des aides suisses.
La politique de la neutralité armée et des Bons offices nous a apporté la sécurité et des sympathies dans le monde entier.
Depuis quelques années cependant, la neutralité armée apparaît aux yeux de nombreux politiques et fonctionnaires comme mesquine et étriquée. Mais comme les sondages indiquent régulièrement un fort niveau de sympathie pour la neutralité au sein du peuple, ses adversaires évitent là encore la confrontation et misent sur l’érosion.
Ils se répandent alors en propos lénifiants et parlent de neutralité souple ou active. Donc, être un peu neutre et quand même participer aux jeux des grands. Cela ne peut pas fonctionner. Peut-être serons-nous alors actifs et souples, mais nous ne seront certainement plus neutres.
Cette participation à tout prix à la politique internationale à des conséquences graves dans mon département tout particulièrement. L’enthousiasme suscité par la coopération était parfois si grand qu’on en a presque oublié la Suisse. Lors des dernières réformes de l’armée, on a par exemple modifié la structure d’organisation militaire pour nous rendre compatibles avec d’autres armées. On a même traduit des règlements en anglais.
Là encore, il est évident que ce développement n’est pas dans l’intérêt de la Suisse. Des prises de positions précipitées et inutiles menacent notre bonne réputation d’aides efficaces et pacifiques. Et par conséquent aussi notre traditionnelle ouverture au monde. La politique de la neutralité est tout sauf une politique de l’hérisson. La neutralité nous ouvre des portes dans le monde entier et nous fait respecter.
• Démocratie directe
Le quatrième principe est la démocratie directe. Il représente une différence essentielle entre notre pays et les autres. Notre démocratie en tire une qualité toute particulière. Et elle confère au citoyen une position particulièrement forte. Nous ne nous contentons pas d’élire tout simplement tous les quatre ans un nouveau Parlement ou un nouveau gouvernement.
Via l’initiative et le référendum, les citoyens suisses décident directement de modifications constitutionnelles et de lois importantes. Car en Suisse le peuple est souverain. Tous les citoyens ensemble forment le pouvoir suprême du pays.
Ce principe aussi subit un minage continu. Notamment par l’implication de plus en plus forte de la Suisse dans le droit international public. Un droit international vague remplace de plus en plus souvent des dispositions claires du droit national.
Ce droit international vague est la meilleure arme du juriste politique. Il peut l’interpréter comme cela l’arrange.
Et ce qui arrange ces milieux, nous nous en rendons compte quand ils se mêlent des campagnes de votation. Non pas comme citoyens, ce qui serait leur droit le plus strict. Ils s’érigent bien plus en arbitres qui, à la place du peuple, décident de ce qui est faux et de ce qui est juste.
Ces juristes politiques se servent du droit international, qu’on appelle aussi le droit des peuples, pour tenter d’annuler des décisions du peuple. Nous en avons fait l’expérience avec l’initiative sur l’internement, puis une nouvelle fois avec l’initiative sur les minarets. Et je suis inquiet de l’avenir de l’initiative sur le renvoi.
Ce développement n’est pas dans l’intérêt du pays: les juges, professeurs et autres juristes fonctionnaires sont des citoyens comme nous tous. Ils ont une voix lors des votations comme nous tous. Il est absolument antidémocratique que certains aient la prétention d’invoquer les dispositions vagues du droit international public pour tenter de renverser une décision prise par la majorité du peuple. Dans notre démocratie, il n’y a qu’une seule règle à appliquer: les droits du Peuple priment sur le droit des peuples!
• Indépendance
Le cinquième principe est celui de l’indépendance. Il forme le cadre protecteur de tous les autres principes: de la liberté, du fédéralisme, de la neutralité armée et de la démocratie directe.
Mais l’indépendance est elle aussi sournoisement relativisée. La Suisse s’engage constamment dans de nouvelles obligations contractuelles. Chaque année notre pays conclut une centaine de traités internationaux. Bien sûr, ils ne sont pas tous contraires à nos intérêts, mais il faut toujours se rappeler que chaque contrat est un engagement, une obligation. Et chaque engagement réduit notre marge de manœuvre, donc notre liberté.
Cette perte de liberté peut parfois être justifiée, mais il faut toujours vérifier exactement ce que nous recevons en contrepartie à cette réduction de notre marge de manœuvre. Les célèbres vers de Schiller sur le mariage illustrent bien ce constat: « Drum prüfe, wer sich ewig bindet … Der Wahn ist kurz, die Reu‘ ist lang. » (Celui qui se lie éternellement doit bien y réfléchir… Le rêve est de courte durée, mais le repentir est long) (Friedrich Schiller, Das Lied von der Glocke).
La statistique de l’immigration montre bien que la Suisse ne réfléchit pas toujours très bien à ses engagements.
Le malaise augmente. Même les milieux qui, il y a peu, n’avait que des éloges pour une immigration sans borne se plaignent aujourd’hui de la hausse des loyers, de la stagnation des salaires et du bétonnage de nos beaux paysages. Il devient de plus en plus difficile de nier qu’il existe des limites à la croissance démographique dans un petit pays.
Mais le malaise augmente surtout parce que de plus en plus de gens se rendent compte que nous avons perdu le contrôle la majeure partie de notre politique d’immigration. Le séjour des ressortissants UE dans notre pays est réglé par l’accord de libre circulation des personnes. Et l’entrée en Suisse est basée sur les dispositions Schengen concernant les visas. En d’autres termes, nous n’avons plus accès à la poignée du frein de secours!
Si nous ne veillons pas à nos intérêts, personne ne le fera pour nous
Liberté. Fédéralisme. Neutralité armée. Démocratie directe. Indépendance. Voilà les piliers de notre régime libéral. Donc aussi de notre prospérité, de notre qualité de vie, de notre succès.
Défendre les intérêts de la Suisse, c’est s’engager rigoureusement pour ces piliers de notre régime libéral. Avec endurance, courage et assurance. Trop d’entre nous ont accepté de se laisser donner mauvaise conscience. On nous a dit que nous étions des profiteurs, voire des resquilleurs. Comme si les avantages étaient forcément toujours réservés aux autres et comme si nous devions forcément toujours nous contenter des miettes.
Quoi de plus naturel au monde que de défendre ses propres intérêts? C’est précisément l’objectif de toute négociation. Les deux parties cherchent à obtenir un maximum d’avantages. C’est bien pour cela que l’on négocie.
Vous ne faites rien d’autre dans votre vie privée. Si vous demandez un rabais ou si vous rejetez une mauvaise proposition, vous ne faites rien de blâmable. Vous êtes tout simplement raisonnable. Vous vous représentez vous-même et non pas la partie adverse. Si vous n’agissiez pas ainsi dans votre quotidien, vous seriez bientôt ruiné. On douterait de votre bon sens, voire de votre intelligence. Et on vous placerait sans doute sous tutelle.
Le principe est simple: comme chacun d’entre nous protège ses intérêts personnels, le pays doit aussi défendre ses intérêts. Si nous ne veillons pas à nos intérêts, personne ne le fera pour nous.
Il va de soi que nous nous comportons pacifiquement et correctement avec tout le monde, mais la Suisse doit d’abord se préoccuper de ses citoyens. Gottfried Keller l’a formulé fort poétiquement dans son « Fähnlein der sieben Aufrechten »: « Achte jedes Mannes Vaterland, aber das deinige liebe. » (Respecte la patrie de chacun, mais aime la tienne. »
Notre Constitution fédérale dit la même chose. Tout au début, en son deuxième article qui porte le titre « But ». Nous lisons au premier alinéa de cet article: « La Confédération suisse protège la liberté et les droits du peuple et elle assure l’indépendance et la sécurité du pays. »
Il n’y a rien à y ajouter – il suffit de l’appliquer!