L’Union européenne UE est en pleine croissance. Le 1er mai 2004, dix nouveaux Etats y entreront. Ils ont tous approuvé à de fortes majorités cette adhésion parce qu’ils en attendent un…
Walter Schmied, conseiller national, Moutier/BE
L’Union européenne UE est en pleine croissance. Le 1er mai 2004, dix nouveaux Etats y entreront. Ils ont tous approuvé à de fortes majorités cette adhésion parce qu’ils en attendent un développement important et des réformes économiques.
Au moins les peuples de presque tous ces pays ont-ils pu voter sur l’adhésion à l’UE. Reste que cette décision n’était pas trop difficile à prendre compte tenu des avantages considérables qu’apporte l’UE à ces pays au niveau de l’économie et de la sécurité, mais aussi des institutions politiques.
La démocratie directe, un principe naturel pour les Suisses
La situation est très différente pour les citoyennes et les citoyens de Suisse. Alors que les peuples des pays qui vont entrer dans l’UE ne sont que très rarement consultés, il va de soi, en Suisse, que le souverain décide d’une éventuelle adhésion à l’UE. Et, contrairement aux populations des nouveaux membres de l’UE, les citoyennes et citoyens de notre pays devraient prendre en compte les inconvénients graves d’une adhésion de la Suisse à l’UE, notamment dans le domaine de la démocratie directe.
En cas d’adhésion de la Suisse à l’Union européenne, le peuple suisse perdrait une bonne partie de ses droits démocratiques dans la mesure où notre pays devrait céder à Bruxelles d’importantes compétences législatives. Plusieurs études ont été faites avant le vote sur l’EEE en 1992 pour déterminer la proportion d’objets de votation directement ou indirectement touchés par le droit UE. Partant des chiffres ainsi obtenus, les auteurs de ces études ont constaté que les atteintes à la démocratie directe étaient moins graves qu’on ne l’avait craint. Or, ce qui compte pour les citoyennes et les citoyens, ce ne n’est pas le nombre d’objets de votation, mais la signification politique des thèmes sur lesquels ils ne pourraient plus se prononcer. Ainsi, il ne ressort pas de ces chiffres que le droit d’initiative des citoyennes et des citoyens, des parlementaires et des cantons se heurterait à la primauté du droit UE sur le droit suisse. Pas plus que ces statistiques ne disent que la moitié des référendums facultatifs seraient exclus. Le droit quasi naturel des Suissesses et des Suisses de participer directement à presque toutes les décisions politiques ou de pouvoir empêcher ou provoquer une décision par le référendum ou l’initiative serait largement aboli. Voici ce qu’a déclaré à ce propos le président de la cour constitutionnelle autrichienne dans une interview accordée au journal « Kurier »: « La République d’Autriche doit oublier le principe selon lequel le droit autrichien part du peuple, donc qu’il est démocratiquement légitimé. »
Le déficit démocratique de l’UE
En Suisse, les citoyennes et les citoyens ne se considèrent pas seulement comme des spectateurs des actions de la classe politique, mais ils veulent déterminer eux-mêmes leur avenir. On ne saurait dès lors accepter qu’en échange de la suppression du droit de participation directe dans notre propre pays, on nous offre quelques droits de co-décision à Bruxelles. C’est ce qu’a déclaré précisément le conseiller fédéral Kaspar Villiger en l’an 2000 dans son allocution du 1er août: « Il est vrai que le droit de co-décision à Bruxelles compense d’une certaine manière la perte de droits démocratiques. Mais ce sont des autorités et des fonctionnaires qui exercent les droits de co-décision à Bruxelles, alors que la perte de droits démocratiques touche chaque citoyenne et chaque citoyen.
Déficit démocratique aussi dans le projet de constitution européenne
L’Union européenne est d’ailleurs consciente des lacunes démocratiques de son organisation. L’un des grands objectifs de la nouvelle constitution européenne était donc de rapprocher l’UE des citoyens et de la rendre plus démocratique. Mais le résultat de cette tentative est plutôt mince. Certes, on a pu considérer comme un progrès démocratique que pour la première fois depuis cinquante ans un sommet de l’UE ait été préparé par des élus politiques, donc des personnes démocratiquement légitimées, et non pas par des diplomates derrière des portes fermées à double tour. Par contre, la Convention de l’UE ne tient guère à la démocratie directe comme le montre le fait qu’elle n’évoque que les Etat et non pas les peuples. On a pu lire à ce sujet les lignes suivantes dans le journal zurichois NZZ: « Partant de ce constat, on comprend pourquoi les étudiants allemands savent si peu de la Convention puisqu’ils n’auront rien à dire sur la nouvelle constitution européenne, comme les populations n’avaient rien eu à dire à l’époque sur le traité de Maastricht qui a entraîné la passage du DM à l’euro. » Au moins, le projet de constitution européenne contient-il la possibilité d’une initiative populaire. Il faudrait à cet effet réunir un million de signatures. Mais contrairement à une initiative populaire suisse, cette initiative européenne ne contraindrait pas le législatif d’entrer en matière sur la demande des auteurs de l’intervention. Reste que ce projet d’initiative constitue tout de même un progrès en ce sens que des demandes semblables – par exemple, celles formulées en 1996 par le chancelier autrichien Wolfgang Schüssel et son collègue italien Lamberto Dini – ont été rejetées par le Conseil des Ministres UE. En automne, les gouvernements des pays concernés devront se déterminer concernant le projet de nouvelle constitution. Le droit UE leur donne la compétence de décider en dernier ressort alors que le peuple est écarté de ce choix.
Les petits pays n’ont pas voix au chapitre
On affirme souvent que les droits des petits pays membres de l’UE sont fort bien protégés et que, dans les faits, leur voix pèse plus lourd que celle d’un grand Etat. Or, avec l’élargissement de l’UE à l’est, le processus de décision à l’unanimité pratiqué jusqu’ici sera progressivement remplacé par un système de décision à la majorité. Ce changement renforce considérablement la position des grands pays au détriment des petits. En outre, selon un compte rendu de l’hebdomadaire allemand « Spiegel », tout donne à penser que dans la future UE les fonctions du plus haut niveau seront occupées avant tout par des personnalités nommées par les grands pays. Dans cet article, le ministre finlandais des affaires étrangères se plaint de ce que dans le domaine de la politique de sécurité, par exemple, les postes les plus importants sont réservés au grands pays ou aux membres importants de l’OTAN. Pareil procédé est évidemment aux antipodes de l’idée que les Suissesses et les Suisses se font de la démocratie.
En conclusion, on constate que l’Union européenne demeure un ensemble centralisée et antidémocratique qui est diamétralement opposé à la conception suisse de la démocratie directe. Le projet de nouvelle constitution européenne ne contient guère de réformes pouvant compenser ces déficits démocratiques. Donc, un décision concernant une éventuelle adhésion à l’UE restera à l’avenir également un choix entre la démocratie directe, d’une part, et une politique ignorant la volonté des citoyens, d’autre part.