A y regarder de plus près, la Direction du développement et de la coopération révèle de nombreux dysfonctionnements. Au premier regard on n’y voit que du feu. Et pour cause, la DDC baigne dans l’opaci
A y regarder de plus près, la Direction du développement et de la coopération révèle de nombreux dysfonctionnements. Au premier regard on n’y voit que du feu. Et pour cause, la DDC baigne dans l’opacité, et ses rapports souffrent d’une illisibilité chronique qui ne doit probablement rien au hasard.
Manque de transparence et illisibilité comme tactique de dissimulation
Par le biais de ses crédits-cadre, le Parlement délègue une grande partie de son autorité budgétaire au Conseil fédéral et à l’administration. En échange, il exige une conduite politique claire, une transparence complète et une lisibilité sans faille. Il n’a pas échappé à la Commission de gestion du Conseil des Etats, qui a étudié en 2006 la cohérence et la direction stratégique des activités de la DDC, que ces conditions n’étaient pas remplies. Il n’est pas simple de se faire une idée précise de l’allocation des fonds lorsqu’une part substantielle de l’aide publique au développement n’est attribuée à aucun pays, à aucune région ou à aucun programme en particulier. C’est en cela que la DDC pratique une politique de la dissimulation qui rend impossible toute tentative de contrôle financier. En 2004, la DDC a dépensé 123 millions de francs en honoraires pour des experts externes à l’institution, allouant ainsi plus de fonds à ce type de mandats qu’à l’ensemble de son personnel. Ce genre de stratagème sert entre autres à contourner le plafonnement en personnel en vigueur à la Confédération. Il arrive ainsi que des consultants africains perçoivent le salaire d’un secrétaire d’Etat suisse.
La débâcle du tsunami
Dans sa diplomatie des sentiments, dont elle seule a le secret, la ministre des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey s’est envolée début 2005 à bord de l‘avion du Conseil fédéral en compagnie d’une ribambelle de journalistes, dans les régions touchées par le tsunami; ce faisant, elle a empêché les diplomates de faire leur travail et a promis spontanément de l’aide en Thaïlande et au Sri Lanka en présence du directeur de la DDC. Mal lui en a pris, puisque la Confédération ne disposait plus d’un budget suffisant pour honorer ses promesses, si bien que contre toute attente, et pour des raisons purement politiques, la Chaîne du bonheur a dû suppléer le manque de fonds grâce à ses donateurs. La gestion de l’aide en faveur des victimes du tsunami sous la houlette de la DDC s’est soldée par des pannes à répétition: les fonds ont été engloutis par des projets corrompus, la Suisse a payé sans avoir son mot à dire, le projet « Cash for Host Families » annoncé à grand bruit a été interrompu de même que la reconstruction promise d’écoles de la région. La Suisse a jeté l’argent de l’aide internationale par la fenêtre, détourné les dons de leur objectif principal, elle n’a pas respecté les accords passés avec les pays partenaires, enfin elle a accepté sans broncher une mauvaise gestion, des pots-de-vin et des escroqueries à grande échelle; on a fait taire les voix critiques, retouché les faits et censuré des documents.
Une stratégie globale déficiente
La DDC a développé un système particulièrement complexe et confus de stratégies et de plans directeurs. L’élaboration de la « Stratégie 2010 » a pris à elle seule plus de 22 mois et son utilité pratique est de loin insuffisante. Ce genre de documents stratégiques ne servent plus qu’à légitimer l‘existence de la DDC. Même la Commission de gestion du Conseil des Etats a été surprise par la difficulté de s’y retrouver dans le fatras de documents stratégiques et de plans directeurs qui définissent les activités de l’institution. La DDC n’a apparemment pas été en mesure de produire une liste exhaustive de ces documents, soit qu’elle ne l’ait pas pu, soit qu’elle ne l’ait pas voulu. Pour la DDC, cette situation présente un avantage majeur: plus son appareil administratif est opaque, plus elle peut employer des fonctionnaires à rien faire. Ces stratégies sont intenables et le problème doit être réglé au plus vite. Lorsqu’une politique particulière concerne plusieurs services de l’administration fédérale, ceux-ci doivent se mettre d’accord sur une stratégie commune.
Trop d’acteurs mènent à la dispersion
La répartition des taches entre la DDC et le Seco exige un effort de coordination important et représente un sujet de tension non négligeable. Dans les domaines d’activité où les deux services ont des responsabilités, le partage des compétences s’avère complexe. Seuls 6 des 17 domaines d’activité sont clairement du ressort de l’un ou de l’autre des services. Cet état de fait mène nécessairement à des doublons et des chevauchements, d’où des coûts élevés. D’autre part cette situation crée de nombreuses sources de conflit et engloutit des ressources importantes. Il convient aujourd’hui non seulement d’optimiser la coordination, mais encore de simplifier enfin les rapports de compétences et d’harmoniser la stratégie des deux acteurs.
Des priorités mal définies
En 2006, l’aide au développement de la DDC s’est concentrée sur 17 pays prioritaires et 6 programmes spéciaux. 17 autres pays bénéficient de l’aide aux pays de l’Est. Ce qui surprend, c’est que seuls 18% des moyens de la DDC sont déployés dans les pays prioritaires. Il est urgent de réviser les activités et les options géographiques de la DDC. En réaction aux critiques de la Commission de gestion, la DDC a ramené à 14 le nombre de pays prioritaires, mais en contrepartie augmenté à 7 les programmes spéciaux. Ce remaniement cosmétique ne peut guère être considéré comme une redéfinition fondamentale des priorités.
Les activités de la DDC sont définies selon cinq thèmes principaux. En réalité pourtant, les domaines d’action de l’institution couvrent largement tout le spectre de l’aide au développement. Ce manque de concentration occasionne des coûts importants tout en portant préjudice à la cohérence et à l’efficacité. Un collaborateur de la DDC expliquait la chose de la façon suivante: « Définir les priorités n’est vraiment pas la qualité principale de M. Fust. Il préfère de loin distribuer de l’argent à toutes sortes de bénéficiaires et il a instauré ainsi un système clientéliste. C’est aussi ce qui fait sa force. » Une autre collaboratrice du service confirme: « Il commence sans cesse de nouvelles choses avec enthousiasme, il suit toutes les modes et ce faisant, il se disperse. »
La politique inacceptable de la ministre de tutelle
La direction et le contrôle de la DDC incombent au Département des affaires étrangères de Micheline Calmy-Rey, auquel la DDC est directement soumise. D’après la Commission de gestion, la direction manque pourtant de toute systématique ou de vision stratégique. La « Stratégie 2010 » entre autres a été adoptée par le directeur de la DDC, alors que l’ancien ministre de tutelle n’avait été que consulté. Il n’est pas étonnant dès lors que Walter Fust a été surnommé le « Prince de la DDC », lui qui mène l’institution comme s’il s’agissait de son « petit royaume ». Le directeur despotique et influent de la DDC a la réputation d’être le « souffleur et l’ouvreur de portes » de Micheline Calmy-Rey. Celle-ci a d’ailleurs trouvé dans la DDC un instrument efficace pour se profiler. Ce qui explique pourquoi elle n’entend pas accepter de critiques à l’égard de cette usine à gaz. Au point que lorsque M. Fust s’en est pris violemment aux parlementaires de la Commission de gestion qui le critiquaient, il a reçu le soutien de la ministre des Affaires étrangères. Ce faisant, cette dernière approuvait un comportement plein de mépris pour le contrôle parlementaire et ne respectait pas le principe de la séparation des pouvoirs.
La situation actuelle de la DDC est intenable et appelle une restructuration immédiate, qui doit être menée en prévision des changements internes prévus pour 2008.