Les agriculteurs de l’UE disposent d’un marché de plusieurs centaines de millions de consommatrices et consommateurs pour écouler leurs produits. Plus des deux tiers du budget de l’UE sont affectés…
Les agriculteurs de l’UE disposent d’un marché de plusieurs centaines de millions de consommatrices et consommateurs pour écouler leurs produits. Plus des deux tiers du budget de l’UE sont affectés sous une forme ou une autre au secteur agricole et alimentaire. – Cela n’empêche que les prix à la production dégringolent, que des dizaines de milliers de paysans sont au bord de la ruine et descendent dans la rue pour attirer l’attention sur leur situation catastrophique. Pour éviter une escalade aux conséquences imprévisibles, l’UE distribue des contributions tous azimuts, mais il ne s’agit jamais que d’emplâtres sur une jambe de bois qui ne règlent pas le problème de fond. Le « conseil des sages » de Bruxelles s’obstine en effet à penser que la libéralisation mondiale du secteur agricole est le bon moyen pour stabiliser la situation alimentaire internationale, donc pour renforcer la paix et la justice dans le monde. On rencontre malheureusement des opinions semblables en Suisse aussi. Pourtant, la production alimentaire nationale et l’approvisionnement du pays sont, à côté de la sécurité, deux conditions essentielles à la pérennité de notre pays.
Regard révélateur au-delà des frontières suisses
Jetons donc un regard au-delà des frontières de notre pays pour voir ce qui se passe dans les pays voisins de l’UE et pour nous donner une idée de ce qui attend l’agriculture suisse si nous nous engageons aussi sur la voie du libre-échange agricole sans borne.
Notons-le d’emblée: la majorité des paysans de l’UE vont mal, parfois même très mal. Les paysans européens ont dû manifester plusieurs fois déjà cette année pour attirer l’attention du public et de la politique sur leur situation économique intolérable. La dernière fois il y a deux semaines à Luxembourg. Avec un prix du lait de 20 à 25 centimes d’euro (30 à 40 ct. suisses) par litre, beaucoup de producteurs UE sont au bord de la ruine, et cela bien que les quotas laitiers (contrôle de la quantité dans l’UE) existent toujours. L’industrie laitière allemande s’attend même à un prix mondial théorique du lait de 10 à 20 centimes d’euro (15 – 30 ct. suisses) par litre.
Dans la perspective mondiale, l’Europe est donc une région à vie chère, pour reprendre ce terme volontiers utilisé par les fanatiques de la globalisation. Les producteurs de lait européens savent très bien que la libéralisation complète du commerce agricole visée par l’OMC et l’abolition progressive des quotas laitiers jusqu’en 2015 dans l’UE signifient leur disparition pure et simple. Et cela bien que les exploitations agricoles UE aient aujourd’hui déjà atteint une taille moyenne et un niveau de rationalisation impensables en Suisse.
Dans les régions proches de la Suisse comme l’Autriche et l’Allemagne du Sud on relève aujourd’hui une nette tendance aux domaines agricoles exploités à titre secondaire. Cette évolution est une preuve supplémentaire que dans un monde de libre-échange agricole les exploitations petites et familiales peuvent tout au plus survivre comme occupations de loisirs et que la production alimentaire à proprement parler sera l’affaire de quelques grands groupes industriels travaillant à quelque part dans le monde.
Les protestations et appels au secours de nos collègues de l’UE confirment que les politiques de Bruxelles se nourrissent eux-aussi de l’illusion que le libre-échange améliorera la situation alimentaire du monde; et, paradoxalement, ces responsables sont même prêts à sacrifier leur propre agriculture dans cette guerre mondiale des prix.
Le choix appartient aux paysans, au peuple et aux cantons
Nous autres paysans suisses, nous souffririons encore bien plus d’un accord de libre-échange agricole – qu’il soit conclu avec l’UE ou dans le cadre de l’OMS – que nos collègues de l’UE. En effet, le niveau des prix est beaucoup plus élevé en Suisse qu’ailleurs; les contraintes et prescriptions sont plus sévères et les conditions topographiques plus difficiles. Alors pourquoi ne nous résignons-nous pas? Pourquoi croyons-nous encore et toujours en l’avenir de l’agriculture suisse?
L’article 140 de la Constitution fédérale donne un mandat à la Confédération et à l’agriculture. Il exige, à côté de l’approvisionnement sûr de la population en denrées alimentaires saines, la sauvegarde des bases naturelles de la vie, l’entretien des paysages cultivés et l’occupation décentralisée du territoire. Les deux dernières exigences, en particulier, ne pourraient jamais être satisfaites par une industrie alimentaire rationnalisée à outrance pour la production en masse. Il est donc indispensable de maintenir une structure de petites et moyennes exploitations familiales.
Les avis régulièrement exprimés par la population et les consommateurs nous confortent aussi dans notre conviction qu’il vaut la peine de se battre pour la conservation d’une paysannerie suisse bien vivante. Tous ensemble nous pouvons nous servir des droits démocratiques importants dont nous disposons dans ce pays pour stopper les politiques et fonctionnaires qui veulent sacrifier l’agriculture suisse sur l’autel du libre-échange européen, voire mondial. La Suisse a souvent pris dans le passé des décisions sages dont on nous a enviés par la suite – par exemple, le refus d’adhérer à l’UE. Même si cette sagesse semble avoir quitté depuis quelque temps nos responsables politiques, nous devons tout entreprendre pour que le bon sens soit retrouvé dans le domaine agricole et que l’on revienne sur des choix insensés et même dangereux. La résolution dont nous décidons aujourd’hui nous donne la bonne direction. Et notre démocratie directe nous permettra de la réaliser – une possibilité dont les peuples et les paysans de l’UE n’osent même pas rêver.