L’idée de générer en Europe cohabitation pacifique et prospérité sur une base de libre commerce et de liberté économique devrait être soutenue sans réserve. Si elle n’avait pas été d’emblée liée…
L’idée de générer en Europe cohabitation pacifique et prospérité sur une base de libre commerce et de liberté économique devrait être soutenue sans réserve. Si elle n’avait pas été d’emblée liée indissociablement au projet d’aligner politiquement tous les Etats européens par une centralisation outrancière. Cette idéologie de l’uniformisation, qui porte le joli nom d’harmonisation, est imposée par une administration centrale échappant largement au contrôle politique. La libre concurrence est subordonnée à l’harmonisation.
C’est pour cette raison que la Suisse s’est tenue d’abord soigneusement à l’écart de la CEE. Jusqu’à ce que le socialiste français Jacques Delors lance en 1985 l’idée d’un grand marché intérieur européen. Cette idée a incité le Conseil fédéral, après quelques hésitations, à faire volte-face en 1992: cette année-là, le Conseil fédéral a déposé la demande d’adhésion de la Suisse à l’UE.
Les années de désorientation
Des marchés ouverts, un commerce sans obstacle, de quoi séduire un pays comme la Suisse, sans matières premières et dont le revenu provient exclusivement du travail et de l’intelligence de ses habitants. Le problème, c’est que les conseillers fédéraux et les fonctionnaires n’ont pas compris que Delors ne visait pas un marché libre, mais un marché uniformisé, réglementé jusque dans ses moindres détails conformément à l’idéologie socialiste, avec des excès comme les prescriptions sur l’angle de courbure des cornichons, la longueur des préservatifs, la forme des selles des tracteurs. Bruxelles a créé un eldorado pour les bureaucrates et les lobbyistes. Dans cette organisation, la concurrence encourageant la créativité est étouffée par la bureaucratie et un égalitarisme exacerbé. La concurrence, donc aussi la concurrence politique de différents systèmes démocratiques, a été systématiquement diffamée par le qualificatif de « nationaliste » pour la simple et bonne raison que la bureaucratie centrale bruxelloise voit dans la démocratie et la concurrence une menace pour son propre pouvoir.
Le rejet de l’EEE par le souverain ayant empêché le Conseil fédéral de soumettre directement la Suisse au régime de Delors, la Suisse s’est retrouvée dans une phase de désorientation complète. Au lieu de se souvenir des forces intrinsèques de la Suisse, le Conseil fédéral a fondé un Bureau de l’intégration dont la tâche consiste à aligner la Suisse sur tout ce que souhaite ou pourrait souhaiter l’UE. Et pour bien montrer au peuple suisse qu’il a tort d’être aussi récalcitrant à l’idée européenne, la Berne fédérale ne cesse de se plaindre d’être obligée d’appliquer des normes européennes sans avoir un mot à dire quant à leur définition.
Or, en réalité, c’est la Confédération et son Bureau de l’intégration qui imposent tout et n’importe quelle norme européenne à la Suisse, même dans des domaines où le peuple ne l’aurait jamais accepté si on lui avait demandé son avis.
De la désorientation à l’aveuglement
Cette désorientation, voire confusion face à l’UE de Maastricht a parfois débouché sur des attitudes de soumission totalement irréalistes. Par exemple, quand l’Allemagne a résilié – au lendemain du vote des Suisses sur les accords bilatéraux I! – l’accord de navigation aérienne avec la Suisse pour imposer, sans gêne aucune et en ne tenant aucun compte de l’accord bilatéral sur les transports aériens, une politique de discrimination à l’égard de l’aéroport de Zurich. Et peu après le Conseil fédéral tentait désespérément de ne pas voir une Union européenne se faire le prolongement de l’Internationale socialiste pour mettre au ban l’Autriche où les socialistes n’avaient pas été réélus. Il faut dire que ce comportement antidémocratique et même totalitaire de Bruxelles dans l’affaire autrichienne ne convenait guère à l’idylle UE à laquelle le Conseil fédéral tentait de faire croire les Suisses. Et tout comme Berne fermait les yeux devant ces attitudes plus que discutables, le Conseil fédéral refusait de voir qu’un modèle économique à la Maastricht, donc basé sur l’alignement de tous les pays membres sous la férule d’une bureaucratie centralisatrice, était d’avance voué à l’échec. Le marché intérieur de l’Europe n’a pas apporté à l’UE la croissance économique promise, beaucoup s’en faut. La bureaucratie égalisatrice agissant depuis Bruxelles empêche la croissance économique, notamment dans les pays qui étaient autrefois les locomotives du développement économique européen. Engoncée dans un corset fait d’impôts et de prélèvements en hausse, d’une bureaucratie hypertrophiée et d’une politique d’harmonisation hostile à la concurrence, l’UE a perdu du terrain par rapport aux Etats-Unis, au Japon et aux pays émergents d’Extrême-Orient.
La Suisse officielle, toujours bienvenue à Bruxelles parce que sortant volontiers son porte-monnaie, refusait de voir cette réalité. Au contraire, elle a livré progressivement la Suisse au modèle UE dont l’échec était et est toujours patent. Elle a imposé à ses contribuables des dépenses de dizaines de milliards de francs pour construire les NLFA comme une sorte d’avance versée à Bruxelles. Lorsque la Berne fédérale s’est rendu compte que les pays voisins, au lieu de construire des voies d’accès performantes, se réfugiaient dans des promesses vagues, elle a eu l’idée pour le moins aventureuse de financer des équipements ferroviaires à l’étranger. Comme si la dette de la Confédération n’était pas assez lourde.
De l’aveuglement à la soumission
Depuis que l’extension de la libre circulation aux pays de l’est européen a passé la rampe, la Berne officielle – du moins la ministre des affaires étrangères – se plaît de plus en plus dans un rôle de sujet de l’Union européenne. Rappelons quelques faits. La Suisse a conclu avec l’Union européenne des accords bilatéraux. Les négociations ont été longues et parfois dures.
Mais en apposant leur signature au bas du contrat, les deux parties se sont assurées mutuellement que le résultat des négociations était équilibré. En clair, cela signifie que chaque partie donne et reçoit des avantages équivalents. Le fait est que l’économie suisse bénéficie d’un accès complet au marché UE, y compris les membres est-européens de l’UE. Inversement, toutes les entreprises de l’UE, des anciens comme des nouveaux pays membres, peuvent accéder au marché très convoité de la Suisse. Toute entrave à cette liberté serait une discrimination et devrait donc être éliminée par l’Etat. Voilà en quoi réside cet équilibre vanté par les deux parties au contrat.
Mais l’UE, dont la crise financière s’approfondit sans cesse depuis son élargissement à l’est, commence à développer une mentalité de pirate. La Suisse doit, si elle veut vraiment ces accords bilatéraux, faire un geste financier, a-t-on soudain déclaré à Bruxelles. Micheline Calmy-Rey a donné très rapidement son accord – il semble que la chose ait été convenue au téléphone – et tente depuis désespérément d’éviter l’écueil référendaire à ce milliard. Encouragée par la promptitude de la Suisse à délier les cordons de sa bourse, Bruxelles a déjà fait comprendre à Berne qu’il y aurait encore d’autres revendications. Il s’agit tout de même de financer un autre élargissement est-européen de l’UE…
Et entre les Etats UE – les « anciens pauvres » et les « nouveaux pauvres » tout aussi avides de toucher des subventions – la bataille fait rage actuellement pour obtenir une part du milliard helvétique.
Et en Tchéquie, l’Académie des sciences s’est adressée sans gêne aucune à une délégation parlementaire suisse visitant le pays pour lui demander de confier des projets aux scientifiques suisses afin que le milliard suisse « ne disparaisse pas dans le trou noir des ministères » (compte rendu du voyage de la commission de politique extérieure du Conseil national, 15.11.2005, page 10).
La seule chose qui compte pour le contribuable suisse est le fait incontestable que le « milliard de cohésion » exigé par l’UE ne repose sur aucune base légale. Il n’est tout de même pas acceptable de conclure un contrat jugé expressément équilibré par les deux parties pour ensuite, quand le peuple a ratifié le contrat, dresser une facture d’un milliard de francs. Il s’agit là tout simplement d’une illustration de plus du sans-gêne incommensurable de Bruxelles.
Seul un sujet, un vassal, un serf offre à son seigneur des services auxquels celui-ci n’a pas droit. Un Etat véritablement libre refuse cette attitude de soumission. La caractéristique d’un Etat libre est de pouvoir disposer de son budget comme il l’entend. Celui qui paie un tribut qui ne repose sur aucune obligation se met dans une situation de dépendance, donc abandonne sa liberté. Voilà pourquoi il faut dire clairement non à ce milliard de cohésion!
Conclusion
Prise au piège d’un centralisme anti-européen, l’UE est plongée dans une crise profonde. Les peuples européens se détournent de l’appareil bruxellois. La Berne fédérale, par contre, se cramponne, dans le mépris du peuple, à une option européenne qui ne vaut plus rien. Une obstination stupide qui vaut à la Suisse de supporter une part de l’échec du modèle européen avec une économie stagnante.
Enraciné dans la démocratie directe, un pays comme la Suisse ne peut que pâtir d’un gouvernement qui, des années durant, cherche à donner à sa politique, et surtout à sa politique économique, une orientation dont le peuple ne veut pas. Surtout quand cette politique est de surcroît rejetée par une proportion croissante de l’économie. Cette attitude est forcément nuisible au pays.
Il est dans l’intérêt premier de la Suisse et de son économie, dans l’intérêt du souverain et de notre démocratie directe que le Conseil fédéral mette fin à sa fixation malsaine sur Bruxelles. C’est le Conseil fédéral et lui seul qui détient la clef d’un nouveau départ prometteur: le retrait de la demande d’adhésion à l’UE dégagerait enfin la Suisse de sa dangereuse soumission à un modèle de centralisme qui a déjà échoué. Alors, chers membres du gouvernement fédéral, faites enfin ce geste libérateur pour notre pays!