Monsieur le Président,
Chers amis UDC,
A l’heure où notre section vaudoise célèbre son 100e anniversaire, je suis particulièrement heureux et fier d’accueillir les délégués de notre parti suisse ici, dans cette belle commune de Montricher, où le regard porte loin, où l’air est vivifiant et le cadre authentique. L’UDC y est chez elle. Bienvenue à elle, bienvenue dans le canton de Vaud !
Vous m’avez aimablement demandé de procéder pour vous à une sorte de discours sur l’état de l’Union. Le temps nous étant compté, je me contenterai d’un bref aperçu de notre situation économique et de quelques considérations complémentaires sur trois défis d’avenir qui me paraissent cruciaux pour la prospérité de notre pays.
Pour commencer, vous aurez sans doute remarqué au cours de ces derniers mois que le Conseil fédéral était devenu un spécialiste des infrastructures. De fait, mes collègues et moi-même vous avons souvent répété que le bout du tunnel était en vue.
Cette prudence, qui a toujours le don d’exaspérer une certaine frange de la population, n’est pas un artifice : nous avons vraiment fait l’expérience d’un phénomène fluctuant et très difficile à appréhender, donc difficile à prévenir. Toujours est-il que le Conseil fédéral n’est pas le Dr Mabuse : lorsqu’il est question de santé publique, il ne peut pas se contenter d’hypnotiser les gens. Sa mission constitutionnelle est d’agir concrètement au profit de la santé publique, même si cela déplaît.
Nous avons beaucoup parlé de résilience pendant la crise. C’est un mot à la mode, mais approprié. Les faits et les statistiques attestent que l’économie suisse dispose elle aussi de cette capacité, alors que les prévisionnistes s’attendaient à ce que la crise la mette au contraire durablement à genoux.
Les constats laissent entrevoir que les coûts liés au coronavirus dépassent légèrement les 6% de PIB, ce qui représente un peu de plus de 5000 francs par habitant. C’est un montant certes élevé, mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt : la Suisse a très nettement limité la casse, ne serait-ce que par rapport à ses plus proches voisins.
Ce résultat s’explique essentiellement par le fait que les restrictions sanitaires ont été beaucoup plus limitées chez nous que dans d’autres pays. Je pense notamment au couvre-feu et au confinement, des protocoles draconiens que la Suisse n’a pas instaurés.
La résilience naît aussi de la diversification de notre tissu économique : c’est bien connu, en mettant les œufs dans plusieurs paniers, on répartit mieux les risques.
En clair, donc, les voyants sont au vert, mais le ciel n’est pas encore totalement dégagé, car les inconnues sont nombreuses : le sort de la pandémie n’est pas scellé, les problèmes de capacités sont encore très présents et l’évolution des taux d’intérêt est imprévisible. S’ils devaient aller dans le mauvais sens, ces facteurs sont susceptibles de contrecarrer lourdement la reprise.
Comme ministre du travail, je peux également me féliciter d’une situation positive sur le front de l’emploi. Entre septembre 2020 et septembre 2021, le chômage a reculé de près de 20%, et même de près de 35% pour le chômage des jeunes de 15 à 24 ans, et de plus de 8% pour celui des seniors.
On peine peut-être à s’en souvenir, puisque ces bons résultats éclipsent un peu les bouleversements passés, mais en avril 2020, soit au pic des RHT, 155’000 entreprises environ avaient introduit le chômage partiel en Suisse, une mesure qui a affecté 1,36 million de travailleurs. Au total, un peu plus de 534 millions d’heures de travail se sont ainsi volatilisées par la faute de la pandémie !
Remettre l’économie sur les rails à l’issue d’une telle crise ne peut raisonnablement se faire d’un claquement de doigts ni sans une stratégie concertée. Le Conseil fédéral a ainsi mis au point un programme de transition en trois phases : normalisation, accompagnement de la reprise et revitalisation. Il est censé rester un certain temps en action.
Dans les grandes lignes, la phase de normalisation prévoit la suppression progressive – j’insiste sur cet adjectif – des mesures de soutien extraordinaires introduites pendant la pandémie. Des aménagements ponctuels sont néanmoins prévus pour éviter un arrêt par trop brutal de ce dispositif.
L’accompagnement de la reprise se fera au moyen d’instruments éprouvés : l’innovation, le tourisme, la recherche d’emploi seront ainsi en première ligne des secteurs appelés à être temporairement « reboostés ».
Enfin, pour assurer une revitalisation durable de notre économie, nous planchons notamment sur l’ajustement de certaines conditions-cadres ou encore sur un catalogue de mesures liées à la numérisation et à la décarbonation.
Mesdames et Messieurs,
« Si le bout du tunnel paraît en vue, disait un plaisantin, c’est que l’on regarde dans la mauvaise direction. » En effet, bien d’autres défis se profilent. Préoccupants. Je me contenterai d’en évoquer trois, qui me paraissent également devoir retenir l’attention de notre parti : l’approvisionnement énergétique, la collaboration internationale en matière de recherche et l’avenir des assurances sociales.
Approvisionnement énergétique
Nous devons amorcer, dans le domaine énergétique, le virage d’une indépendance accrue. C’est d’autant plus nécessaire que nos besoins en électricité ne vont pas baisser. Ce défi revêt une complexité politique folle, non pas tant en raison de l’absence d’accord avec l’Union européenne que du fait du recentrage annoncé des intérêts nationaux dans ce secteur. La situation pourrait être critique dans quelques années déjà, ce qui appelle de notre part une réaction stratégique rapide.
Différents scénarios ont été élaborés, qui vont de l’absence totale de collaboration avec nos partenaires européens jusqu’à une participation standard de la Suisse au marché électrique continental.
Ignorant pour l’heure celui qui prévaudra, nous devons planifier maintenant déjà la sécurité de notre approvisionnement à titre préventif. Cela comprend un certain nombre de mesures d’optimisation du réseau, de la consommation et de la production. Un catalogue a été dressé à cet effet par Swissgrid et la Commission fédérale de l’électricité. Je ne veux pas rentrer ici dans les détails techniques, mais ce que je tiens à souligner, c’est qu’il n’y a pas de temps à perdre pour renforcer notre indépendance énergétique vis-à-vis de l’étranger.
Collaboration internationale en matière de formation
Le développement de la recherche et la circulation des savoirs sont eux aussi fortement dépendants de nos relations internationales. Dans le cas précis, c’est plutôt bénéfique, puisque l’intelligence est rarement fructueuse en circuit fermé.
Si mon année présidentielle s’achève sur un volume de contacts internationaux plutôt encourageants, il est néanmoins un domaine – le programme-cadre de recherche et d’innovation de l’UE – où je dois déplorer une situation inconfortable pour les cerveaux suisses.
En effet, notre pays étant désormais considéré par l’UE comme un pays tiers dans le domaine précité, ses chercheurs et innovateurs risquent d’être mis sur la touche. Ils peuvent toujours participer à des projets collaboratifs européens – à tout le moins à quelque 70% d’entre eux – mais aux frais de la Confédération, et non plus de la Commission européenne. En revanche, et toujours pour les mêmes raisons, ils n’ont carrément plus accès aux appels à projets individuels.
Nous allons prochainement présenter au Parlement des mesures transitoires pour pallier cette situation en permettant à ceux de nos chercheurs qui auraient déjà obtenu un subside de projet dans le cadre d’« Horizon Europe » de pouvoir poursuivre leurs travaux dans une institution basée en Suisse, et grâce à un financement direct de la Confédération.
De façon plus générale, nous devons continuer de prospecter et de rester ouvert à d’autres possibilités de collaborations scientifiques, notamment avec le Royaume-Uni ou, pourquoi pas, avec l’Asie ou les Etats-Unis. Pour un petit pays très performant comme le nôtre, toutes les options de collaboration scientifique méritent d’être examinées, et sans tabou.
Avenir des assurances sociales
Deux mots enfin sur nos retraites, les modèles de revenus AVS faisant encore l’objet de différentes initiatives et le niveau des rentes LPP étant lui aussi très disputé. Si ce débat est toujours animé sur cet objet, c’est que les avis sont extrêmement tranchés, en plus d’être grippés, entre un côté et l’autre de la table politique.
Nous avons néanmoins une équation complexe à résoudre dans ce pays, liée notamment à l’évolution démographique et au vieillissement de la population. En effet, chaque année, en Suisse, quelque 170 milliards de francs sont consacrés aux dépenses sociales, impliquant un transfert générationnel extrêmement pénalisant pour nos futures forces vives et pour l’avenir même de notre place économique. Des adaptations sont dès lors inévitables ; elles passent notamment par le relèvement de l’âge de la retraite, faute de quoi nous allons nous retrouver face à un déficit phénoménal et tenace. Je constate malheureusement que les fronts sont figés, pour des raisons principalement idéologiques. On ne rend tout simplement pas service à la Suisse en ayant une vision obtuse des choses. Je vous invite par conséquent à être ouverts d’esprit et surtout créatifs. Déshabiller Pierre pour habiller Paul n’est rien d’autre qu’une solution « lose-lose ».
Chers amis UDC,
Mon année présidentielle touche à sa fin, mais ce n’est pas encore tout à fait l’heure du bilan. Quoi qu’il en soit, je veux déjà vous dire qu’il sera optimiste, parce que c’est dans ma nature et parce que j’ai toujours eu confiance dans mon pays. Je suis sincèrement convaincu, et j’en ai des preuves chaque jour renouvelées, qu’une immense majorité de nos habitantes et de nos habitants attachent du prix à ce qui en a réellement : le travail, l’effort, le bien commun, l’Etat de droit, la sécurité, tous les bienfaits au fond qui cimentent la Suisse et constituent l’assise de la résilience précédemment évoquée.
Cette ligne est la nôtre aussi, mes chers amis. Continuons donc de la suivre sans nous laisser bousculer. Pour paraphraser l’un des grands artistes français du XXe siècle [je cite] : « Il faut cultiver ce pour quoi on nous fait des reproches, parce l’objet même de ces reproches, c’est ce qui fonde notre personnalité. » Et on ne fait pas de bonne politique avec de bons sentiments.
Je vous remercie de votre écoute et de votre appui, et vous souhaite une fructueuse assemblée des délégués.