En vigueur depuis 1972, le système suisse des rentes vieillesses a fait la preuve de son efficacité et il est reconnu au niveau mondial comme un exemple de bonne politique sociale. Installé sur trois piliers, il est solide et stable, du moins jusqu’ici. Comme tout système, il doit être adapté de temps en temps. Les changements démographiques et sociétaux doivent être pris en compte pour assurer la stabilité financière à long terme de l’AVS et de la prévoyance professionnelle (LPP). Les motifs des adaptations sont cependant différents pour le 1er et le 2e pilier.
Alors que, dans l’AVS, c’est avant tout le développement démographique qui impose une réforme, la prévoyance professionnelle, elle, est mise à rude épreuve par la hausse constante de l’espérance de vie et par la baisse du rendement des capitaux. Depuis l’entrée en vigueur de la LPP en 1985, l’espérance de vie des femmes est passée de 80 à 85 ans, celle des hommes à près de 81 ans. Le progrès de la médecine se poursuit, si bien que l’on peut partir de l’hypothèse que l’espérance de vie progressera elle aussi. Résultat: le capital économisé jusqu’à l’âge de la retraite doit suffire pour une période de vie plus longue.
Tout le monde est d’accord pour admettre qu’une réforme sans maintien du niveau des prestations n’aurait pas de chance dans une votation populaire. Preuve en est notamment le refus du 7 mars 2010 d’une réduction du taux de conversion sans mesure compensatoire. Ce projet a été clairement rejeté, soit par 73% des votants. Il est difficile d’exprimer plus clairement la volonté des citoyennes et des citoyens de veiller à la stabilité du revenu à l’âge de la retraite. Cette attitude est compréhensible et elle a influencé la réforme présente. Le Parlement s’en est lui aussi rendu compte et il a donc assorti la révision de la LPP de diverses mesures de compensation. Durant les vingt ans à venir, les rentes de la prévoyance vieillesse professionnelle seront équilibrées malgré la baisse du taux de conversion de 6,8 à 6% grâce à des prélèvements sur le fonds de sécurité LPP. Le fonds subira ainsi une charge supplémentaire de 300 millions de francs par an. La rente exprimée en francs restera donc au même niveau stable dans la partie obligatoire. Son montant ne baissera pas. Il n’y aura pas de perte de rente dans la partie obligatoire.
La situation est différente pour l’AVS. La stabilité de cette assurance de base est avant tout marquée par la démographie. Les générations des années à forte natalité atteignent l’âge de la retraite. Chaque année quelque 100 000 personnes prendront leur retraite et feront valoir leur droit à la rente AVS. En 2030 quelque 2,2 millions de personnes et en 2040 environ 2,6 millions de personnes seront sur la liste de paies de l’AVS. Ce dernier chiffre est supérieur de 76% à l’effectif actuel! Pendant cette même période, le nombre de personnes âgées de moins de 19 ans n’augmentera que de 14%. Ce sont là des faits clairement établis et non pas des fantasmes. Alors qu’en 1948 on comptait encore 6,5 actifs pour un rentier ou pour une rentière, il n’y en aura plus que 2,3 en 2035. En 2015 déjà, le compte financier de l’AVS a basculé dans les chiffres rouges avec une perte de 558 millions de francs. Ces déficits ne cessent de croître et passeront entre 2021 et 2025 de 1,4 à 3,5 milliards de francs. En 2030, le système de répartition sur lequel repose l’AVS affichera un découvert de 7 milliards de francs. C’est dire qu’une réforme est urgente. Les exigences, auxquelles doit répondre le premier pilier en raison de son mode de fonctionnement, sont extrêmement lourdes. Que faut-il faire pour le stabiliser l’AVS dans les dix à vingt années à venir comme le souhaite le Conseil fédéral? Les mesures à prendre peuvent être comparées à celles que doit s’imposer une entreprise déficitaire pour assainir sa situation. L’AVS a en effet besoin d’un assainissement et elle n’est pas aussi stable, loin s’en faut, que le prétend régulièrement la gauche en leurrant le peuple.
Pour commencer, il s’agit de se rappeler que l’augmentation des rentes voulue par l’initiative AVSplus a été clairement rejetée par le souverain. Il n’est donc plus question de songer à une hausse des rentes. Deuxième principe à respecter: chaque personne qui atteint l’âge légal de la retraite a droit à une rente. Ce droit est garanti et il doit servir à couvrir les besoins existentiels selon les dispositions de la Constitution fédérale. Dans la perspective de l’énorme augmentation du nombre de rentières et de rentiers dans les années à venir, il faut se concentrer sur la sauvegarde et la garantie du niveau actuel des rentes. C’est déjà une tâche immense. Nous devons donc consacrer toutes nos forces au maintien du niveau actuel des rentes.
Quatre options s’offrent à cet effet: baisser les prestations, augmenter les cotisations, prolonger la durée d’activité des cotisants ou combiner ces possibilités. Une réduction des prestations, donc une baisse des rentes, serait sans doute très difficile à faire accepter. Par ailleurs, les discussions sur la prolongation de la durée d’activité jusqu’à 66/67 ans s’avèrent très difficiles, si bien qu’une telle proposition pourrait faire échouer tout le projet. Reste que ce débat doit tout de même avoir lieu. Il ne reste donc réalistement qu’une augmentation des ressources financières et un mélange des diverses mesures. Or, le projet de révision de l’AVS retenu par le Parlement ignore de manière crasse le problème du changement démographique. Sous la pression du PS et du PDC au Conseil des Etats et avec l’aide complaisante de l’Office fédéral des assurances sociales, le projet a été assorti d’une augmentation des rentes de 70 francs par mois et d’une élévation du plafond pour les couples de 150 à 155%. Les actuels rentiers AVS se frottent les yeux. Ils font partie des perdants, car ils ne toucheront rien de cette nouvelle manne. Cette extension des prestations en faveur des nouveaux rentiers augmente les charges de l’AVS de 1,4 milliard de francs et elle doit être financée par une augmentation de 0,3% des prélèvements sur les salaires. Grâce aussi à une augmentation supplémentaire de 0,6% de la TVA, le système bénéficiera de rentrées supplémentaires.
Malgré cet important financement supplémentaire, il faudra tout de même prendre de nouvelles mesures à partir de l’année 2027. Le système de la répartition sur lequel se base l’AVS accusera alors à nouveau un déficit de plus d’un milliard de francs. Cette augmentation des prestations est donc proprement irresponsable et ses effets sont catastrophiques. Les principales victimes seront les jeunes des générations suivantes qui devront supporter les conséquences de cette générosité mal placée. Les générations des années à forte natalité seront à la retraite à partir de 2032 et ne contribueront plus avec leurs cotisations au financement de cette hausse des rentes. Les cotisants nés après 1974 seront donc les dindons de cette farce lamentable. Ils devront payer plus de TVA et plus de cotisations et financer de surcroît les mesures de compensation dans la prévoyance professionnelle.
Permettez-moi pour conclure quelques remarques sur le procédé du Parlement dans cette affaire. Les partisans de cette réforme font comme si celle-ci était le résultat d’un compromis dont le refus plongerait la prévoyance vieillesse dans la ruine. Les socialistes et les démocrates-chrétiens du Conseil des Etats ont bétonné ce mauvais projet jusqu’au niveau de la conférence de conciliation. Plusieurs tentatives de compromis faites par l’UDC et le PLR sans augmentation générale des rentes, mais avec des améliorations efficaces au niveau des rentes minimales ont été rejetées par ces partis qui se disent pourtant "sociaux". Le conseiller fédéral Berset s’est très rapidement distancé du projet du Conseil fédéral et il a soutenu vigoureusement l’augmentation des rentes pour compenser l’échec de l’initiative AVSplus de son parti. Les milieux qui soutiennent une extension des prestations sous cette forme affaiblissent leur position et n’auront plus aucun crédit si cette réforme doit être rééditée.
Plus grand parti de Suisse, l’UDC doit avoir le courage de se battre pour une solution porteuse d’avenir. Or, une solution n’est réellement durable que si les rentes sont garanties et si le développement démographique futur est pris en considération. Une société à deux classes chez les rentiers et une augmentation des rentes sont inacceptables et doivent être empêchées par un double NON.