En juin prochain, la Suisse sera appelée à se prononcer sur une des plus importan-tes questions de son histoire. Je veux parler des bilatérales II, dont les enjeux dé-passent ceux jadis de l’accord…
par Walter Schmied, Conseiller national, Moutier (BE)
En juin prochain, la Suisse sera appelée à se prononcer sur une des plus importan-tes questions de son histoire. Je veux parler des bilatérales II, dont les enjeux dé-passent ceux jadis de l’accord sur l’EEE, refusé en décembre 1992 par le peuple et les cantons. Le paquet dit des bilatérales II est constitué de 9 accords indépendants, c’est-à-dire non liés entre eux, et dont l’un porte tout particulièrement préjudice à la souveraineté de la Suisse. Il s’agit de l’accord de Schengen. Cet accord supprime les frontières pour toute personne et il ouvre la voie à un engrenage politique dont l’emprise en matière de droit évolutif priverait la Suisse de toute liberté d’action. J’affirme que la Suisse serait ainsi prise au piège, dont l’unique issue ne pourrait être que son entrée dans l’UE ; cette finalité n’étant qu’une question de temps.
I. La voie de la raison
Confiant, je fais partie de ceux qui s’engagent pour une Suisse ouverte sur l’Europe et sur le monde. Notre vision est bien à la hauteur de l’ambition d’un pays qui, au cours des temps, a su tirer parti de l’engagement et de la modestie des gens qui le composent. Sans richesse ni matière première, sans accès à la mer, la Suisse s’est progressivement hissée au rang envié qu’est le sien. L’esprit autocritique des ci-toyens, le sens du dévouement du plus grand nombre d’entre eux et la volonté des autorités de se mettre au service de la population, sont autant de facteurs qui ont conduit le pays sur le chemin de la prospérité que nous lui savons.
Conscients du fait que cette prospérité est et reste vulnérable, nous sommes d’avis qu’il vaut la peine d’en prendre grand soin. Mais la Suisse doit surtout son existence à l’esprit de sa constitution. Cette dernière ne reconnaît pas les titres de ministres, ni ne délègue de pouvoirs particuliers au président ou au chancelier. La constitution suisse en appelle à des magistrats qui respectent avec modestie leur rôle de « conseillers », qu’ils soient fédéraux, nationaux, d’état ou autres ; le peuple restant seul habilité à prendre et à assumer ses décisions. S’il existe un « Sonderfall Schweiz », c’est à ce niveau-ci qu’il se situe. Les Suissesses et les Suisses ne sont en rien meilleurs ou pires que d’autres citoyens. Que l’on retienne simplement ceci : Nous résolvons nos problèmes parfois autrement.
L’UDC s’est toujours prononcée en faveur des relations bilatérales. Elle l’a fait savoir par le passé ; et elle le répète aujourd’hui. Pour la Suisse en l’occurrence, recourir à une telle pratique est un fait coutumier bien antérieur à la création des fondements de l’UE moderne. L’entretien de relations bilatérales privilégiées est donc la norme et la constante prioritaire de toute règle de bon voisinage. Quant au principe même d’un accord bilatéral proprement dit, il n’a de sens que lorsque les parties en présence y trouvent un réel avantage. Tout pays est habilité à refuser de signer un accord qui lui est défavorable. Cette règle vaut pour la Suisse également. Dans le contexte des bi-latérales II, nous nous arrogeons donc le droit de choisir au cas par cas, étant donné qu’une majorité de l’élite politique suisse n’a pas jugé utile de consulter le peuple par référendum sur un sujet aussi sensible que celui de Schengen dont l’objectif avoué est la suppression de nos frontières d’avec l’étranger. Vouloir aujourd’hui accepter Schengen reviendrait de fait à admettre que, dans dix ou quinze ans, la plus proche des frontières de Genève, de Berne, de Bâle, de Zurich ou de Lugano se situerait aux portes de l’Iran et de l’Irak, à l’autre extrémité de la Turquie, elle entre-temps de-venue membre à part entière du grand ensemble.
En résumé, l’UDC dit « oui » à tout accord qui renforce nos intérêts et implicitement la position du pays ; elle dit catégoriquement « non » à tout accord qui pénaliserait la Suisse ; elle n’est donc nullement disposée à négocier une perte de souveraineté au détriment de la population.
II. Les Bilatérales I
En date du 21 mai 2000, et suite au référendum lancé par dix comités ayant jadis ré-colté quelque 64’000 signatures, le peuple suisse était appelé à se prononcer sur un texte juridique de 623 pages constituant le paquet dit des « bilatérales I ». L’arrêté fédéral dont il fut question portait sur l’approbation de sept accords sectoriels liés ju-ridiquement entre eux. Le seul choix possible portait donc sur l’alternative d’accepter tous les accords en un seul scrutin ou alors de les rejeter en bloc. Jadis l’UDC n’avait pas jugé indispensable de rejoindre le camp des référendaires. Or comme chacun s’en souvient, lesdits traités furent acceptés par les urnes et ils sont entrés en force au 1er juin 2002. Aujourd’hui nous ne disposons donc que de deux annés de recul pour juger de l’impact des bilatérales I. Un délai aussi restreint ne permet pas de se faire une idée définitive sur leur utilité et sur leur fonctionnement, notamment dans le domaine sensible de la libre circulation des personnes.
Le paquet des bilatérales I nous liant maintenant à l’UE porte donc sur sept accords sectoriels qui sont les suivants :
L’enjeu de l’élargissement de l’accord portant sur la libre circulation des personnes des dix pays nouvellement membres de l’UE fera l’objet d’un débat tout à l’heure et je n’entends pas anticiper sur la discussion. Toutefois, dans le contexte des bilatérales I, je tiens simplement à préciser un fait. Si le Conseil fédéral évoque d’ores et déjà l’idée que l’UE serait libre d’appliquer la clause dite « guillotine », faisant ainsi tomber tous les accords dans le cas de figure où la Suisse renoncerait à vouloir accorder la libre circulation des personnes aux dix nouveaux membres, il fait erreur. La clause guillotine n’est applicable que si l’un des partenaires contrevenait à un de ses enga-gements. Or en vérité aucune clause de l’accord sur la libre circulation des person-nes n’engage la Suisse à élargir cet accord à de nouveaux membres de l’UE. Cette vérité incitait d’ailleurs le Conseil fédéral à écrire textuellement dans son message aux citoyennes et aux citoyens en vue de la votation populaire du 21 mai 2000 la dé-claration suivante : sous le titre « Garanties » en page 4 nous lisons «… Le Parle-ment décidera en outre si l’accord peut également s’appliquer aux Etats qui adhère-ront ces prochaines années à l’UE. Le peuple pourra aussi être appelé à trancher cette question si le référendum est demandé. » Mesdames et Messieurs, en démo-cratie le chantage est mauvais conseiller.
III. Les Bilatérales II
Parlant des « bilatérales II », l’on sous-entend l’ensemble des 9 dossiers sectoriels négociés avec l’UE et votés sous la forme d’arrêtés fédéraux par les chambres fédé-rales en date du 17 décembre dernier. Je tiens à le rappeler une fois encore : ces accords sont et restent totalement indépendants les uns des autres et ils ne sont su-jet à aucune clause « guillotine ». Ils sont tous sujet au référendum facultatif indivi-duel, à l’exception du dossier portant sur les produits agricoles transformés et celui relatif à l’éducation.
Vue d’ensemble des 9 dossiers négociés :
à la demande de l’UE:
à la demande de la Suisse :
Lutte contre la fraude
A la demande de l’UE, la CH est appelée à intensifier sa collaboration en matière de lutte contre la contrebande (p. ex. cigarettes) et autres délits relevant de la fiscalité indirecte (abandon partiel par la CH du secret bancaire). Un des objectifs de l’accord est d’assurer l’entraide judicaire et l’assistance administrative ainsi que l’échange d’informations entre autorités. Cet accord est négatif pour la Suisse. Le professeur genevois Xavier Oberson, chargé par le Conseil fédéral d’établir une expertise sur les retombées dudit accord, affirmait dans un interview que l’accord sur la fraude fis-cale crée une brèche profonde en matière du secret bancaire et qu’en conséquence la place financière suisse aura à faire face à de sérieuses difficultés. (Le Conseil fé-déral s’est catégoriquement refusé jusqu’à ce jour à publier les résultats de cette ex-pertise, pourtant financée par les deniers publics).
Fiscalité de l’épargne
Par cet accord négocié à la demande insistante de l’UE, la Suisse opérera une rete-nue d’impôt au profit des Etats de l’UE ; celle-ci sera portée par paliers successifs à 35 %. Cette retenue concerne les intérêts générés par l’épargne de personnes phy-siques ayant leur domicile fiscal dans l’UE.
Laissons la parole au Conseil fédéral qui relève dans son message 04.063 du 1.10.04, sous le titre de la « Signification de l’accord pour la Suisse » :
Impositions des fonctionnaires européens retraités résidant en Suisse
Sur la base de cet accord, la Suisse, à la demande expresse de l’UE, renonce à im-poser les retraités des institutions de l’UE établis en Suisse (environ 50 personnes actuellement). Tout autre commentaire est superflu.
Approbation et mise en œuvre des accords bilatéraux d’association à l’Espace Schengen et Dublin
Le Conseil fédéral fut seul à revendiquer des négociations sur cet accord. L’UE de son côté n’était pas portée à discuter du dossier Schengen/Dublin avec la Suisse. Un rejet de l’accord par le peuple ne créerait donc aucune tension d’ordre politique avec nos voisins.
L’enjeu de Schengen n’est pas de nature sécuritaire, mais idéologique ; il engage à l’abolition des frontières. Le préambule de l’accord original confirme ce qui suit : « L’union sans cesse plus étroite des peuples des Etats membres des Communautés européennes doit trouver son expression dans le libre franchissement des frontiè-res intérieures pour tous les ressortissants des Etats et dans la libre circulation des marchandises… ». Le préambule ne fait nulle part mention, ni même allusion à la sé-curité !
En 1999, le Conseil fédéral était conscient de la chose et, dans le contexte des bila-térales I, il affirmait que Schengen impliquait une perte de souveraineté telle que la Suisse ne pouvait s’y associer. Une majorité du Conseil fédéral affirme aujourd’hui l’inverse, à savoir que la Suisse peut reprendre Schengen sans problème ; que rien ne changera en matière de contrôle des personnes à la frontière. Ceci est foncière-ment faux. Je prends le Gouvernement à témoin. En affirmant devant le Parlement que l’UE n’a pas été disposée à entrer en matière sur une version light de Schengen (à vrai dire il ne l’a pas demandé, mais c’est une autre question), le Conseil fédéral, implicitement reconnaîtra pour le moins que l’accord négocié avec l’UE assujettirait notre pays à l’esprit de Schengen dont l’objectif premier est la suppression de toute frontière intérieure entre les partenaires associés. Toute affirmation contraire relève donc d’une propagande non objective. Mario Fehr, vice-président et rapporteur du PS l’a compris, lui qui déclarait le 17 décembre dernier, avant la votation finale du Conseil national : « Nach dem erfolgreichen Abschluss der Bilateralen II muss des-halb die europapolitische Diskussion neu lanciert werden. Für alle Befürworter der Öffnung und der Zusammenarbeit mit Europa geht es jetzt darum, sich gemeinsam für die Assoziation an Schengen/Dublin zu engagieren ». Et dans quel but? Celui de l’adhésion bien sûr.
Quant à l’accord de Dublin, conclut le 14 juin 1990 entre les membres de l’UE il est partie intégrante de l’accord avec l’UE. Il règle les compétences en matières de de-mandes d’asile.
Tout en reconnaissant les mérites du SIS (système d’information de Schengen) et de la banque de donnée EURODAC (enregistrement des empreintes digitales des re-quérants d’asile), nous estimons que les inconvénients dus à la suppression des frontières de notre pays prédominent. Par la levée obligée de certains contrôles des personnes à nos frontières et dans nos aéroports, la Suisse serait confrontée à une recrudescence de la criminalité et de l’immigration. De surcroît, en acceptant l’accord de Schengen / Dublin, la Suisse s’engagerait à vouloir appliquer le droit évolutif de l’UE ou s’exposerait alors à des mesures de rétorsion.
Je rappelle que l’assemblée des délégués de l’UDC suisse s’est d’ores et déjà pro-noncée sur le dossier de Schengen / Dublin en date du 21 août 2004.
Produits agricoles transformés
Les droits de douane et les subventions à l’exportation seront considérablement ré-duits pour un large éventail de produits de l’industrie alimentaire (chocolat, biscuits, soupes, sauces, pâtes alimentaires, café soluble, etc.). Dans l’ensemble, cet accord est positif.
Education, formation professionnelle, jeunesse
L’UE encourage la mobilité des étudiants, apprentis et jeunes gens dans le cadre des programmes communautaires Socrates (éducation générale), Leonardo da Vinci (formation professionnelle) et Jeunesse (activité extrascolaire). Cet accord, considéré comme simple échange de correspondance, ne constitue pas un accord du point de vue juridique et n’a pas été soumis pour approbation aux Chambres fédérales.
Participation de la CH aux programmes MEDIA Plus et MEDIA Formation
Les programmes MEDIA de l’UE ont été mis sur pied pour encourager le cinéma européen. La participation de la Suisse à ces programmes a été suspendue après le rejet de l’EEE en 1992. Les professionnels de l’industrie cinématographique suisse pourront ainsi bénéficier des mesures d’encouragement de l’UE au même titre que leurs homologues européens ; il va sans dire que la Suisse paiera largement sa contribution au fond.
Participation de la CH à l’Agence européenne pour l’environnement et au réseau EIONET
Par la conclusion de cet accord, la Suisse devient membre de l’agence européenne pour l’environnement (AEE) et participera au réseau EIONET. Cette agence a pour mission de récolter et d’analyser des données sur l’état de l’environnement dans les pays européens.
Coopération dans le domaine statistique
L’accord de coopération dans le domaine statistique règle l’harmonisation progres-sive de la collecte de données statistiques entre la Suisse et l’UE. L’objectif est de garantir des données comparables dans des domaines importants comme les relations commerciales, le marché de l’emploi, la sécurité sociale, les transports, l’aménagement du territoire ou encore l’environnement.
Conclusion
Sur les neufs accords constituant les « bilatérales II », sept d’entre eux sont sujets au référendum facultatif. L’UDC juge de manière différenciée le contenu de chaque ac-cord. Le meilleur accord est celui portant sur les produits agricoles transformés. Sui-vent les autres dossiers dit « left overs » qui, en faisant preuve de bonne volonté, peuvent être jugés neutres (imposition des fonctionnaires, formation, media, environnement, et statistique). Reste les trois dossiers prioritaires : la fiscalité de l’épargne (dossier délicat à mon sens et n’apportant rien à la Suisse), la fraude fiscale (dossier soldant clairement au détriment de la Suisse et de son secret bancaire, mais contre lequel l’UDC s’abstiendra de lancer le référendum), et finalement Schengen/Dublin, accord contre lequel l’UDC s’engage par référendum, tant les répercussions liées à la suppression des frontières seraient lourdes de conséquences et irréversibles pour la Suisse. J’ose croire qu’il existe dans ce pays un nombre suffisant de citoyennes et de citoyens disposés à assumer leurs responsabilités en se rendant aux urnes pour dire « NON » à un accord disproportionné qui conduirait irrévocablement à terme le pays vers l’adhésion à l’UE. L’accord bilatéral doit rester un instrument permettant à la Suisse de composer avec son grand partenaire ; en aucun cas nous accepterons qu’il soit réduit à un instrument ou à un mécanisme en vue de favoriser une adhésion.