Dans mon travail de directrice de l’économie publique du canton de Zurich, je dois garder la vue d’ensemble sur un système complexe d’intérêts économiques, d’acteurs divers, de contraintes et de…
Exposé de Rita Fuhrer, conseillère d’Etat (ZH)
Dans mon travail de directrice de l’économie publique du canton de Zurich, je dois garder la vue d’ensemble sur un système complexe d’intérêts économiques, d’acteurs divers, de contraintes et de libertés. L’office de l’économie et du travail qui est affilié à ma direction communique chaque mois le taux de chômage dans mon canton. Il s’agit là d’un indice direct de la prospérité économique de l’espace de travail et de vie qu’est le canton de Zurich. En fonction de l’évolution du taux de chômage, nous sommes appelés à nous interroger sur d’éventuelles interventions de l’Etat. Dès que le chômage augmente, nous devons redoubler d’efforts et définir les mesures à prendre. Je suis donc confrontée quotidiennement à la question de savoir si et dans quelle mesure l’Etat peut et doit intervenir dans la vie économique. Et je dois constamment m’interroger sur la liberté à accorder à l’économie pour qu’elle puisse sauvegarder et même augmenter la prospérité de tous – sans intervention de l’Etat.
Pour prendre la bonne décision face à une problématique aussi complexe, il faut que je puisse me référer à des principes intellectuels et politiques de base. Cette référence est indispensable pour que je puisse toujours garder à l’esprit l’intérêt de l’économie, de mon canton et de tout le pays en appréciant des situations particulières. Rien ne serait plus grave que de m’éloigner de cette réflexion fondamentale en prenant des décisions qui peuvent parfois avoir une portée considérable. Le risque serait grand de perdre de vue l’ensemble complexe qu’est l’économie zurichoise et de faire vaciller cette vaste structure par des choix ponctuels.
Ce sont précisément mes idées de base sur les rapports entre l’Etat et l’économie que je souhaite vous exposer aujourd’hui. Ma conception fondamentale de la politique économique se résume en cette phrase: l’Etat doit offrir des conditions-cadres avantageuses à l’économie.
Les entreprises et, partant, les facteurs de production que sont le travail, le capital et le savoir se déplacent facilement. Les entreprises produisent là où c’est le plus avantageux pour elles et elles se déplacent si elles estiment que les conditions de production ne leur conviennent plus. Autrefois, les Confédérés se sont déplacés pour conquérir des terres fertiles. Depuis Marignan au plus tard, ils ont compris qu’il existait une autre politique économique, à savoir la mise en place de conditions-cadres favorables aux activités économiques.
La Suisse offre des facteurs de stabilité qui intéressent grandement l’économie. Permettez-moi d’en énumérer quelques-uns: la neutralité, la répartition du pouvoir entre Confédération, cantons et communes, un Etat de droit digne de ce nom, un faible niveau de corruption dans les administrations publiques et une infrastructure intacte et fiable.
La neutralité nous empêche de nous mêler des conflits étrangers. Nonobstant les critiques qu’elle suscite, la neutralité a repris de l’importance ces derniers temps. Nous vivons dans un monde où les guerres, les conflits et les crimes font partie du quotidien et où la paix pour tous n’est qu’une illusion lointaine.
Dans un monde de plus en plus polarisé, la neutralité prend une place toujours plus importante. La Suisse est un des pays les plus prévisibles et les plus fiables du monde. Nous n’avons nullement besoin d’activisme en politique étrangère, ni de nous mêler des conflits de ce monde.
Parfois long, mais stable et axé sur la continuité, notre système politique nous permet d’offrir une grande sécurité au niveau du droit et de la planification. C’est essentiel pour les entreprises installées chez nous. La confiance dans le système judiciaire est une condition essentielle à une économie florissante. L’absence de corruption, du moins dans les institutions étatiques, est une autre garantie qui facilite la planification des entreprises. Régulièrement, l’Office fédéral de la police relève dans ses rapports annuels que la corruption n’est guère un problème en Suisse. En octobre 2005, l’organisation Transparency International a placé la Suisse au septième rang parmi 159 pays sur lesquels elle a mené son enquête. C’est dire que la corruption est un phénomène totalement marginal en Suisse.
Le bon fonctionnement des infrastructures est un autre grand avantage de la Suisse et aussi une exigence de l’économie. Ces dernières années nous avons pu nous rendre compte plusieurs fois de l’extrême vulnérabilité d’une économie moderne. Des pannes dans l’approvisionnement en eau, dans les services de télécommunication, des accidents de la route ou des pannes d’électricité peuvent avoir des conséquences désastreuses. Dans la seule région allemande de Münster, les pannes d’électricité du mois de novembre dernier ont causé des dommages pour au moins 100 millions d’euros.
S’agissant des conditions-cadres avantageuses qu’il faut offrir à l’économie, je peux adresser des félicitations au Conseil fédéral. Avec sa décision d’alléger la charge bureaucratique des entreprises, il assume ses responsabilités économiques. Il réduit la bureaucratie et supprime des obligations parfois absurdes en matière d’autorisations. Les entreprises y feront une économie d’un milliard de francs, autant d’argent qui pourra être réinvesti et servir à la prospérité du pays.
Mesdames et Messieurs, les activités économiques qui dépassent la mise en place de conditions-cadres avantageuses ne sont que très partiellement l’affaire de l’Etat. Ce qui est certain, c’est que le rôle de l’Etat n’est pas de participer activement à la vie économique en tant qu’entreprise. Il est vrai que l’Etat suisse aimait bien jouer ce rôle dans le passé en s’assurant des monopoles. Je peux vous assurer que j’ai chaque fois du plaisir de rencontrer un car postal jaune quand je fais mes randonnées à bicyclette dans l’Oberland zurichois. Et j’aime à me souvenir de l’époque ou tout était jaune – les PTT apportaient les lettres, assuraient le téléphone et ses cars postaux sillonnaient le pays. Personne d’autre n’avait le droit d’exercer ces activités! C’était juste à l’époque où les monopoles étaient des privilèges de l’Etat et garantissaient la sécurité de la desserte de tout le pays. Le but n’était pas de faire des bénéfices, mais de couvrir les besoins de la collectivité.
Cela a fondamentalement changé. Pour innover et rester compétitif, il faut la pression du libre marché. Néanmoins, la desserte de nos petites vallées de montagne en services de communication et liaisons ferroviaires ou routières est garantie. L’Etat peut garantir le service universel par le biais de mandats et de concessions et il le fera si cela est nécessaire.
Il va de soi que les monopoles peuvent être utiles et nécessaires. Les biens dits publics qui doivent être accessibles à tous doivent être gérés par une institution monopolistique. Je songe à la sécurité de la population, garantie par l’armée et la police, ou encore au pouvoir judiciaire. Ces domaines publics doivent évidemment constituer un monopole d’Etat, car seul un monopole d’Etat peut être contrôlé et légitimé démocratiquement.
Lorsqu’une tâche est attribuée à l’Etat, il faut cependant se demander à quel domaine il revient de l’assumer. Qui sera compétent? La Confédération? Les cantons? Les communes? D’une manière générale, on veillera toujours à appliquer le principe de la subsidiarité. Plus les décisions sont proches des citoyens, plus la conscience des coûts sera vive. Des spécialistes d’un office fédéral à Berne ne sentent pas dans leurs décisions la pression des contribuables. Par contre, le conseiller communal qui traite l’affaire doit expliquer le soir au bistro à ses concitoyens et électeurs pourquoi tel ou tel projet coûte cher et pourquoi il ne rapporte éventuellement rien. Ce conseiller communal s’efforcera donc de réduire les coûts au strict minimum sinon il ne restera pas longtemps en fonction. Notre Etat est régi par le principe du fédéralisme et notre politique économique ne doit pas non plus échapper à cette règle.
J’ai beaucoup parlé de monopoles. C’est effectivement un problème brûlant dans notre pays. Nous devrions être un peu plus courageux. Nous devrions comprendre que la concurrence doit jouer dans les domaines où la demande détermine le prix et où l’offre peut aussi influencer la demande. Il faut encourager cette concurrence et faire confiance à l’économie privée. L’Etat n’a pas sa place dans un tel domaine. Les entreprise peuvent mieux assumer ces tâches que l’Etat qui doit ouvrir la voie à la libre concurrence et se contenter ensuite du rôle qui lui revient, c’est-à-dire mettre en place les conditions-cadres qui garantissent une concurrence équitable et saine. La libre concurrence réduit les prix, accroît la qualité, enrichit l’offre. L’unique tâche de l’Etat est de fixer des règles sociales et légales, mais non pas de réguler tout et n’importe quoi. Quand il n’est pas absolument nécessaire d’imposer une nouvelle loi, il faut y renoncer. Seule une liberté économique maximale garantit aussi une prospérité maximale pour tous.
Au 18e siècle l’économiste Adam Smith a énoncé le principe de « la main invisible » dont la règle de base est la suivante: bien que chaque acteur sur le marché et chaque concurrent cherchent avant tout leur propre bénéfice, la somme des efforts visant des bénéfices fait que la société va mieux dans son ensemble. Et le Prix Nobel de l’économie Milton Friedman a affirmé que la responsabilité sociale d’une entreprise était d’augmenter ses profits. Deux déclarations indiquant que seule la libre entreprise, débarrassée de contraintes étatiques insensées, peut accroître la prospérité de l’ensemble de la population. Mais ce n’est pas tout: une entreprise qui fait des bénéfices paie aussi des impôts; elle enrichit l’Etat. Un Etat riche, Mesdames et Messieurs, ne doit pas être un Etat social. Mais un Etat pauvre ne peut jamais l’être. La redistribution des richesses, la protection de l’environnement, l’action sociale et solidaire, tout cela ne peut exister que s’il y a de l’argent dans les caisses de l’Etat.
L’Etat a donc besoin que les entreprises gagnent de l’argent. Il doit donc les entraver le moins possible dans leur action. Mais pour leur accorder cette liberté, il doit commencer par avoir confiance dans les décideurs économiques. Il doit être certain de leur sens des responsabilités. Il doit pouvoir faire confiance dans la capacité d’innover de l’économie, dans son aptitude à prendre des risques et dans son action responsable. Il doit partir du principe que celles et ceux qui veulent participer aux décisions démocratiques sont aussi être prêts à porter des responsabilités. Et il doit aussi être sûr qu’un chef d’entreprise ne se contente pas de profiter de la liberté qui lui est accordée pour ensuite réclamer l’aide de l’Etat au moindre problème.
Mesdames et Messieurs, j’ai commencé mon exposé en affirmant que l’économie devait pouvoir faire confiance à l’Etat et je viens de constater qu’à l’inverse l’Etat devait avoir confiance dans l’économie. Cette confiance réciproque dans les capacités et la volonté à l’effort de chacun est extrêmement importante pour la bonne marche de l’économie. Car en faisant confiance au sens des responsabilités des entreprises, l’Etat génère la confiance en ses propres capacités. Celui qui sait qu’il a réussi quelque chose par ses propres moyens prend confiance en lui-même. Et celui qui a confiance en lui-même fait un meilleur travail.
Je résume: l’Etat doit donner des conditions-cadres avantageuses à l’économie. C’est la base. En Suisse, l’Etat assume assez bien ce rôle. Tout ce qui dépasse cette tâche n’est du ressort de l’Etat que dans une mesure très limitée. Certains monopoles sont nécessaires, notamment dans le domaine des biens publics. Si l’Etat doit lui-même assumer des tâches économiques, il doit appliquer les principes de la subsidiarité et de la solidarité. Par contre, l’Etat doit se contenter d’un rôle de soutien dans tous les domaines où les prix sont déterminés par l’offre et la demande. Pour que l’économie suisse soit florissante, il est indispensable que l’économie et l’Etat se fassent confiance réciproquement.
Mesdames et Messieurs les Délégués, c’est une des tâches prioritaires de l’UDC d’encourager le développement économique de la Suisse. Nous savons bien qu’aucun autre parti n’assume véritablement cette tâche. Nous devons donc lever ce défi et je vous invite à travailler dans vos domaines d’activité pour réduire la régulation étatique et pour accroître la liberté d’entreprendre. L’Etat assume une tâche importante dans l’économie, mais cette tâche est clairement définie et doit se limiter au strict nécessaire.