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Agriculture
Exposé

L’importance politique d’une agriculture productrice pour la Suisse

par Werner Salzmann, président UDC Berne (BE)

La bataille agricole menée durant la Deuxième Guerre mondiale prête parfois à sourire aujourd’hui. Les jeunes générations ne savent souvent même plus de quoi il s’agit. On va même jusqu’à affirmer aujourd’hui que ce n’était qu’une mesure psychologique sans aucune importance pour l’approvisionnement alimentaire du pays. Le fait est cependant que cette bataille agricole a eu lieu et qu’elle était importante à une époque où on savait qu’il fallait travailler pour gagner son pain quotidien, car une forte partie du revenu passait dans l’achat de nourriture.

Nous nous sommes habitués entre-temps à disposer toujours de tout et indépendamment de la saison parce que les étalages des grands distributeurs sont toujours pleins, souvent même à des prix ridiculement bas. Le lait sort de l’emballage Tetrapack et non pas de l’exploitation agricole et les pommes doivent être aussi brillantes que possible. Il suffit, pour se donner bonne conscience, d’entendre un message publicitaire affirmant qu’il y a une bonne part de la Suisse dans tel ou tel produit. Rien d’étonnant dans ces conditions à ce que l’énorme quantité de déchets alimentaires soit devenue un sujet de préoccupation. Quand la présence de denrées alimentaires en abondance va de soi, on ne se soucie plus beaucoup des restes qui dépérissent au fond du frigo. On a aussi perdu la notion d’utilisation de denrées qui ne sont plus de première fraîcheur. Qui donc fait encore aujourd’hui de la panure ou de la nourriture pour les oiseaux avec son pain sec?

La conséquence de cette mentalité est qu’on ne se préoccupe plus guère de la souveraineté alimentaire du pays. La majorité des citoyennes et des citoyens ne réfléchissent pas trop à ce qui pourrait se produire en cas de crise. Lorsque le chef de l’armée suisse, André Blattmann, a récemment relevé en public qu’il disposait de réserves d’eau minérale à la maison en prévision d’une guerre, il a fait les gros titres de la presse. On a ainsi compris que plus personne ou presque ne tient des réserves d’urgence à domicile. Il faut dire que les signaux donnés depuis de nombreuses années par le Conseil fédéral laissent entendre que tout sera toujours disponible en quantité suffisante. Ce serait cependant dangereux d’abandonner l’idée de la souveraineté alimentaire et de ne plus en faire un objectif politique. La sécurité alimentaire doit en premier lieu reposer sur une production indigène solide et de qualité. Un approvisionnement alimentaire fondé sur des systèmes écologiques locaux sera toujours moins sensible aux crises que s’il dépend du marché mondial. Une étude réalisée par l’EPF arrive à la même conclusion.

Les conflits pouvant restreindre, voire faire s’effondrer le commerce international ne sont pas loin. L’Ukraine et la Russie nous en ont donné la preuve. Aussi longtemps qu’il existe des Etats nationaux – et il y en aura sans doute encore longtemps – les gouvernements seraient bien inspirés de veiller à une production alimentaire nationale et à augmenter cette production dans la mesure du possible. Un gouvernement prudent et prévoyant prend les mesures nécessaires pour assurer l’approvisionnement de la population en cas de crise. Ce mandat ressort aussi clairement de l’article 104 de la Constitution fédérale.

Il suffit de jeter un regard au-delà de nos frontières pour constater que nombre de pays protègent leur agriculture – notamment les Etats-Unis. On ne veut manifestement pas risquer une interruption de l’approvisionnement en cas de crise. Je suis bien conscient que la petite Suisse avec ses 8 millions d’habitants et des surfaces cultivables en constante diminution ne peut pas assurer un auto-approvisionnement à 100% au niveau actuel. D’ailleurs, en cas de crise, il ne s’agit pas de garantir le même standard qu’aujourd’hui. Ce qui compte, c’est que nous puissions assurer au moins pendant une certaine période notre approvisionnement alimentaire. Il s’agit aussi de montrer que la Suisse en est capable, si bien qu’elle sera plus résistante aux tentatives de chantage d’autres Etats, voire de mouvements terroristes. Notre mode de production décentralisé basé sur des petites exploitations offre des conditions idéales pour assurer l’approvisionnement face à des crises de toutes sortes.

La sécurité alimentaire est un autre aspect important de cette problématique. Malgré le foisonnement de prescriptions UE, nous ne pouvons réellement contrôler que ce que nous produisons chez nous. Dans notre pays uniquement, nous avons la possibilité d’intervenir rapidement pour garantir que les aliments arrivant sur notre table ne sont pas nocifs. Il ne s’agit pas de critiquer les exploitations agricoles UE, mais le fait est qu’il s’agit souvent de productions de masse qui réduisent certes les coûts, mais fréquemment au prix d’effets secondaires indésirables en raison du recours à des substances auxiliaires comme les antibiotiques ou les désherbants. Plus petites, les exploitations suisses sont aussi plus visibles et plus contrôlables. Il en est tout autrement des importations où les problèmes ne sont portés à la connaissance du public que très tardivement. Rappelons-nous le scandale de la viande avariée en Allemagne en 2005. Il a fallu attendre 2008, donc trois années, pour que l’UE promulgue une nouvelle directive censée assurer la sécurité alimentaire.

On parle aussi beaucoup aujourd’hui dudit tournant énergétique. Ce débat ne doit pas seulement porter sur la production de biogaz ou d’électricité éolienne, mais aussi sur la diminution des émissions de CO2 par la réduction des transports. Ce n’est pas nouveau, mais il faut le souligner une fois de plus: la production alimentaire indigène est aussi utile sur le plan écologique. Le bilan écologique de tomates transportées à travers la moitié de l’Europe est forcément moins bon que celui de tomates que nous cultivons sur notre balcon ou que nous achetons chez le paysan voisin. Je parle bien entendu des produits saisonniers. Si on redonnait aux exploitations agricoles productrices l’attention qu’elles méritent, les consommatrices et consommateurs reprendraient peut-être à nouveau conscience des légumes correspondant à la saison et contribueraient eux aussi au fameux tournant énergétique. Curieusement, le Conseil fédéral ne s’intéresse que très peu à cet aspect dans sa politique énergétique.

Une agriculture productrice est aussi indispensable au développement durable de l’espace rural. Les domaines agricoles assurent des emplois non seulement dans leur propre exploitation, mais aussi dans les entreprises artisanales en amont et en aval. Cet effet apporte une contribution notable à l’occupation décentralisée du pays telle qu’elle est prévue dans l’art. 104 al. 1 lt. c cst.

Tous ces aspects – la souveraineté alimentaire, la sécurité de l’approvisionnement, des denrées alimentaires saines et la protection de l’environnement – confirment la justesse de ce mandat constitutionnel. Une agriculture productrice est d’une importance politique capitale et mérite qu’on lui donne les conditions-cadres dont elle a besoin.

 
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