Comme c’est souvent le cas, une intervention de l’Etat n’est pas nécessaire parce que les forces du marché suffisent à régler ce secteur. Le marché des logements locatifs évolue actuellement vers un excédent de l’offre par rapport à la demande. Jamais durant les vingt ans écoulés le nombre de logements vides n’a été aussi élevé. Si on concentrait ces 75’000 appartements vides à un seul endroit, on aurait affaire à une localité aussi grande que la ville de Berne. Ce constat concerne surtout les logements locatifs : en raison du faible taux hypothécaire, les immeubles de rente constituent un placement relativement intéressant pour les investisseurs, si bien que l’on construit beaucoup et partout.
L’orateur précédent, Monsieur Schelbert, vous a expliqué pourquoi il faut « davantage de logements abordables » en Suisse. A mon tour de vous dire pourquoi une intervention de l’Etat n’est pas nécessaire dans ce domaine et pourquoi l’initiative de l’association des locatrices et locataires doit donc être refusée.
Cette offre excédentaire a ralenti le développement des prix sur le marché des logements locatifs. C’est donc bien le marché qui veille à l’existence de « logements abordables ». Selon l’observatoire immobilier du bureau de consultation Wüest Partner, le niveau actuel des loyers est inférieur de 5,8% à celui de 2015.
On me répondra que même aujourd’hui des gens font la file en ville de Zurich pour obtenir un logement à un loyer excessif. C’est un fait qu’on paie toujours sensiblement plus pour un logement dans une grande ville que pour un appartement de valeur comparable à la campagne. La demande de logements est effectivement plus forte dans les grands centres urbains. Mais il est vrai aussi que les grandes villes mènent une politique du logement indépendante. Pour en rester à l’exemple de Zurich : 25% des logements de cette ville appartiennent à des maîtres d’ouvrage d’utilité publique. L’exigence des initiateurs d’une proportion de 10% de logements soutenus publiquement est donc plus que satisfaite dans ce cas.
Mais cette initiative n’est pas seulement inutile, elle est aussi et surtout nuisible et je vais vous expliquer pourquoi.
Pour porter la proportion de nouveaux logements d’utilité publique d’actuellement 3% à au moins 10%, les initiateurs proposent de donner aux cantons et aux communes un droit de préemption sur les biens fonciers qui les intéressent. Les pouvoirs publics devraient ainsi investir massivement, même si les besoins effectifs en termes de logements ne justifient pas une telle dépense. Ce serait de l’argent jeté par la fenêtre dans de nombreuses régions. La proportion de 10% pourrait aussi être atteinte moyennant des restrictions de construction imposées par la Confédération aux investisseurs privés. Les locatrices et locataires en feraient les frais parce que la pénurie de
logements, qui serait ainsi provoquée artificiellement, pousserait les prix à la hausse. Cette initiative mène donc à l’absurde.
Un droit de préemption donné aux pouvoirs publics est une atteinte massive au droit de la propriété privée. Le même constat vaut pour un autre point de l’initiative, à savoir l’interdiction d’augmenter le loyer de logements dont l’assainissement a été soutenu par l’Etat. Des atteintes à la liberté de la propriété garantie par la Constitution sont par principe une erreur. Cette initiative est donc antilibérale et provoque des distorsions du marché. Mais ce n’est pas tout : son application exige un lourd appareil bureaucratique de contrôle, surtout dans un pays aussi fédéraliste que la Suisse. Déjà compliquée dans le régime actuel, l’obtention de permis de construire serait encore plus difficile.
Celles et ceux, qui continuent néanmoins d’entretenir des sympathies pour cette initiative, peuvent être rassurés – même si je dois faire le poing dans la poche pour le leur dire : les Chambres fédérales ont approuvé le contreprojet indirect du Conseil fédéral. En cas de refus de l’initiative, la Confédération ouvrirait un crédit de 250 millions de francs qui viendrait renforcer l’instrument de soutien de la Confédération, à savoir le fonds de roulement. Notons que c’est encore une fois de l’argent inutilement dépensé, car la demande de prêts financés par le fonds de roulement a reculé en raison du développement du marché que j’ai exposé plus haut. Mais il y a plus grave : selon une étude, 93 à 97% de tous les projets de construction de logements auraient été réalisés même sans ces prêts !
La conclusion est évidente : il faut cesser d’investir l’argent des contribuables dans la construction de logements d’utilité publique. En refusant cette initiative populaire, nous pouvons empêcher cette redistribution inutile et même nuisible de fonds publics.