Je vous remercie de m’avoir donné cette "mission impossible" de vous convaincre de rejeter une de vos initiatives. "Mission impossible" sans doute parce qu’il est très difficile de convertir des…
Gerhard Pfister, conseiller national PDC, Oberägeri (ZG)
Je vous remercie de m’avoir donné cette « mission impossible » de vous convaincre de rejeter une de vos initiatives. « Mission impossible » sans doute parce qu’il est très difficile de convertir des croyants. Je fais tout de même un essai.
Cette initiative traite d’une question qui n’est pas si importante en réalité. L’importance de la question de savoir qui est conseiller fédéral ou qui doit le devenir est généralement surestimée.
En premier lieu, ce sont les conseillers fédéraux en exercice qui croient qu’il est important qu’eux-mêmes remplissent cette fonction. Difficile de leur en vouloir. Ensuite, ce sont les 246 membres de l’Assemblée fédérale qui sont persuadés qu’il est très important de savoir qui est conseiller fédéral et, surtout, comment on devient conseiller fédéral. Enfin, il y a les médias dont le mode d’élection actuel facilite grandement la tâche et qui écrivent et parlent de la fameuse nuit des longs couteaux même si rien de tel ne se passe.
Il me semble que vous n’avez pas suffisamment tenu compte d’un élément essentiel de la structure de l’Etat suisse: notre système étatique est constitué de manière à ce que le pouvoir des humains sur d’autres humains soit réduit au strict minimum. Voilà le noyau de la subsidiarité. La Suisse veut très clairement un gouvernement institutionnellement faible et un souverain institutionnellement fort. Ce qui compte, ce n’est donc pas qui est conseiller fédéral, mais bien que le Conseil fédéral fasse une politique approuvée par le souverain.
On peut me répondre que cette initiative ne concerne pas l’importance du Conseil fédéral, mais son mode d’élection. C’est juste, mais ce constat relativise encore une fois l’importance de cette initiative – une raison sans doute de la récolte relativement difficile des signatures pour une initiative UDC.
L’argument selon lequel une élection populaire porte des personnalités plus qualifiées au pouvoir ne repose sur aucune preuve. Le conseiller d’Etat Kägi de Zurich est-il meilleur que le conseiller fédéral Maurer de Zurich? La conseillère d’Etat Aeppli est-elle meilleure que la conseillère fédérale Sommaruga? Le conseiller d’Etat Freysinger sera-t-il meilleur ministre que ne l’était le conseiller fédéral Blocher? Peut-être oui, mais certainement pas parce que l’un a été élu par le peuple et l’autre par le Parlement.
Le deuxième argument, selon lequel une élection populaire laisse moins de place aux manœuvres tactiques, est un peu plus convaincant. Je me permets néanmoins de rappeler que le conseiller fédéral Blocher n’aurait pas été élu sans une sérieuse préparation tactique. Après le scrutin, quelques élus UDC n’ont pas hésité à affirmer publiquement qu’il s’était même agi d’un chef-d’œuvre tactique.
La tactique joue également un grand rôle dans les élections populaires, notamment au sein des partis, mais aussi dans la campagne électorale. Lors de l’élection populaire au gouvernement de la ville de Zurich, le PLR a sans doute perdu son siège à cause d’erreurs tactiques. Des élections populaires ne sont pas forcément moins tactiques que des élections parlementaires.
L’argument d’une légitimité accrue de conseillers fédéraux élus par le peuple pèse en revanche plus lourd. Cette question mérite sans doute une analyse politique approfondie, mais elle n’est pas assez importante pour exiger un changement de système. On pourrait, à l’inverse, se demander ce qui changerait si les gouvernements cantonaux étaient élus par le parlement. Pareille réforme serait inutile, mais elle ne ferait certainement pas subitement baisser la qualité des conseillers d’Etat. Les agences publicitaires y gagneraient moins d’argent, voilà la principale conséquence.
Vous le voyez bien: si on retourne l’argument des initiateurs et si on se demande ce qui changerait si tous les exécutifs étaient élus comme le Conseil fédéral, alors force est de constater que ce ne serait certes pas un progrès, mais pas non plus une perte pour la démocratie et encore moins un dysfonctionnement. Inversement, le fait que le Conseil fédéral soit élu par le parlement n’est pas un dysfonctionnement qui exige une correction immédiate.
Etre conservateur, signifie que l’on permet à la nouveauté de faire la preuve qu’elle apporte réellement une amélioration. La réforme proposée ici n’apporte pas, à mes yeux, autant d’améliorations qu’elle mérite une place dans la Constitution. Les personnes siégeant au Conseil fédéral ne sont pas si importantes et la manière dont elles y sont parvenues n’est pas si importante non plus. Le conservateur que je suis peut donc refuser cette initiative.
Comme je l’ai dis d’entrée, je considère ma brève intervention comme une mission impossible. Il est difficile de convertir des croyants. Autrefois, les missionnaires qui s’y risquaient étaient souvent exécutés par les indigènes non croyants. Je vous remercie d’être plus bienveillants à mon égard.
Merci de votre attention.