Quels sont les changements voulus par les auteurs de l’initiative sur l’élevage intensif dans notre pays ?
Lorsqu’on regarde le texte de plus près, le thème semble clair : la fin de l’élevage industriel en Suisse. Les initiants admettent sans gêne que la réduction drastique de nos cheptels doit s’accompagner d’une importante diminution de la consommation de viande et d’autres produits d’origine animale comme les œufs, le fromage et le lait. Il s’agit en quelque sorte tout bonnement d’un véganisme d’Etat partiel et imposé.
Mais comment définit-on un élevage « industriel » ? : « …un élevage industriel visant à obtenir des produits animaux avec le plus d’efficacité possible, dans lequel le bien-être animal est systématiquement bafoué. »
Rien que cette seule affirmation, selon laquelle le bien-être animal est « systématiquement bafoué » en Suisse frise la diffamation à l’encontre de nos agriculteurs qui, 365 jours par an, se préoccupent corps et âme du bien-être de chaque animal. En tant qu’agriculteur qui, lors des dernières décennies, a pu visiter d’innombrables élevages dans le monde entier grâce à mon travail au sein de différentes associations et aussi par curiosité personnelle, je sais vraiment de quoi je parle. Le mois dernier, j’ai eu l’occasion de visiter une exploitation d’engraissement de bovins, ce qu’on appelle un « feedlot », dans l’Etat américain du Colorado, dans lequel vivent 120’000 animaux (www.fiveriverscattle.com). Là, nous pouvons effectivement parler d’élevage de masse dans lequel le bien-être des animaux est bien souvent négligé.
Pour arriver à son but, l’initiative souhaite soumettre toutes les importations de denrées alimentaires d’origine animale à la loi suisse. Cette idée semble louable mais elle est tout bonnement impossible à mettre en œuvre pour des raisons techniques et commerciales. Les normes bio de 2018 doivent au moins être respectées comme référence pour l’élevage futur ; de fait, les conditions d’un label privé doivent être reprises dans la Constitution fédérale.
La Suisse est un pays d’herbages. 70% des surfaces agricoles ne sont pas adaptées à l’agriculture et donc à la production d’aliments végétaux pour l’être humain. Comme il n’est possible pour notre espèce de digérer l’herbe que difficilement et de manière sensiblement inefficace, il ne nous reste que l’élevage de ruminants pour utiliser ces surfaces, sous la forme de production de viande destinée à la consommation par l’homme.
Les animaux d’élevage ne sont pas seulement des fournisseurs de nourriture pour l’être humain mais aussi des fournisseurs d’engrais naturels pour nos sols. Ils contribuent également fortement à la réduction du gaspillage alimentaire puisqu’environ 365’000 tonnes de sous-produits issus de l’industrie alimentaire suisse finissent dans la mangeoire de nos animaux de rente, bouclant ainsi le cycle des nutriments.
Les initiants prétendent que le nombre d’animaux de rente dans notre pays est trop élevé, or, c’est totalement faux. Lors des 40 dernières années, le nombre d’animaux de rente dans notre pays, calculé en unité de gros bétail (UGB) a diminué de 21.5%. Le cheptel bovin, tant décrié, est passé d’1.26 millions à 936’000 têtes, soit une baisse de plus d’un quart ! La volaille a, en revanche, presque doublé sur la même période, ce dans le sillage de la tendance alimentaire de ces dernières décennies. Les œufs et le poulet suisses sont plus demandés que jamais par les consommateurs. A titre de comparaison, la population suisse a augmenté de 2.5 millions de personnes, soit de 40% lors des 40 dernières années, passant de 6.2 millions à 8.7 millions.
Contrairement à ce que veulent nous faire croire les initiants, il n’y a pas d’élevage intensif chez nous ! La loi suisse sur la protection des animaux ne le permet pas et l’ordonnance idoine fixe clairement le nombre maximum d’animaux, que cela soit pour les volailles, les procs et les veaux, disposition qui est unique au monde. Personne en dehors de la Suisse ne connaît de tels maximas d’effectifs ! Le bien-être effectif de chaque animal ne dépend pas en premier lieu de la taille du troupeau mais d’un élevage et d’un suivi professionnels. Il est totalement faux (et étranger à la pratique) de juger selon cette logique biaisée : « petit et bio = bon pour l’animal ; grand et professionnel = mauvais pour l’animal ». Dans la plupart des cas, c’est même l’effet inverse qui se produit.
Les personnes qui souhaitent acheter des aliments qui dépassent les normes légales en ont d’ores et déjà la possibilité chez nous. En sus de Demeter, Bio et IP-Suisse, le consommateur dispose de nombreux autres labels privés, de quoi satisfaire toutes les tendances. Pour la plupart de ces labels, les ventes restent toutefois difficiles, surtout en cette période où le pouvoir d’achat est malmené. Les ventes de produits bio stagnent, voire même régressent. Le consommateur n’achète hélas pas toujours le lundi le produit dont il parle le dimanche de la votation.
Pourquoi donc cette initiative est-elle nuisible ? La production de produits régionaux, très en vogue, serait drastiquement réduite, au profit d’une augmentation drastique des importations car le comportement des consommateurs ne changerait pas subitement après le dimanche de la votation. Les études les plus récentes montrent que les prix augmenteraient d’environ 40% ! En outre, la production bio, imposée par l’Etat, limite la liberté de choix des consommateurs. Faisons encore mention des conflits liés à l’aménagement du territoire, puisqu’au lieu d’une halle d’engraissement pour 18’000 poulets, il faudrait, à l’avenir, neuf poulaillers de 2’000 animaux chacun pour maintenir la production des poulets suisses dont la demande ne tarit guère.
Ma conclusion est donc claire : c’est un NON ferme à cette initiative qu’il faudra glisser dans l’urne le 25 septembre. Les seuls élevages intensifs de notre pays, ce sont les ruches d’abeilles et personne n’y trouve rien à redire. Les denrées animales produites dans le cadre d’un élevage intensif et d’une violation systématique du bien-être animal n’est effectif que dans les produits d’importations, des importations qui par ailleurs doubleraient en cas d’acceptation de l’initiative, raison pour laquelle ce texte est contre-productif pour le bien-être des animaux.
Le véritable dessein des initiants n’est guère un secret. Ce n’est pas le bien-être animal qui est l’objectif mais le battage médiatique sur le climat et la rééducation des citoyens. Ils veulent que les suisses réduisent de 70% leur consommation de viande, prétendument pour « sauver le climat » mondial, par le biais de ce menu restreint imposé par l’Etat.