Hans-Ueli Vogt, député au Grand Conseil (ZH)
La Suisse reprend en permanence du droit UE. C’est en partie justifié par des motifs économiques. Cependant, de nombreuses prescriptions du droit UE sont en contradiction avec nos valeurs politiques et notre culture juridique. Il faudrait que les forces libérales du pays se défendent résolument contre la reprise de telles normes légales. De plus, il n’est pas tolérable que la Suisse reprenne automatiquement et en cachette des lois UE.
Le régime légal suisse pénétré par le droit UE
Cette influence s’exerce en premier lieu par les accords bilatéraux qui ont été approuvé par le Parlement et, en partie, aussi par le peuple. Il serait cependant illusoire de penser que des règlementations convenant aux deux parties aient été négociées dans le cadre de ces traités. En réalité, il s’agit toujours d’une reprise unilatérale de droit UE par la Suisse.
Un comité commun institué par l’UE et la Suisse est chargé de définir et de faire appliquer le développement de nombreux accords bilatéraux. C’est par exemple le cas pour l’accord Schengen/Dublin. Le résultat est cependant toujours le même: le droit suisse est adapté aux normes UE, en règle générale avec le seul accord du Conseil fédéral.
Même sans obligation contractuelle, la Suisse reprend des prescriptions du droit UE (il s’agit de ladite application autonome du droit UE). Par exemple, le législateur suisse a étendu la protection des consommateurs face aux conditions commerciales générales (parties des contrats «en petits caractères») en donnant aux organisations de consommateurs un droit de recours conformément à une directive UE.
Lorsque la Suisse applique de manière autonome du droit UE, les tribunaux helvétiques interprètent ce droit «conformément au droit européen». Cela signifie éventuellement qu’ils considèrent comme contraignants en Suisse des développements du droit UE qui sont intervenus après l’adoption de la norme UE par la Suisse. Exemple: le Tribunal fédéral a étendu le regroupement familial selon l’accord de libre circulation des personnes parce que la Cour européenne de justice a interprété ce traité de cette manière.
Les trois principes devant régir la reprise de droit UE
Depuis toujours les Etats se sont «copiés» en préparant de nouvelles lois. La reprise de droit étranger doit cependant être bien réfléchie. Que cela signifie-t-il?
Premièrement, l’harmonisation légale doit être dans l’intérêt de la Suisse. A ce propos, il faut rappeler que l’uniformité et l’harmonisation ne sont pas des avantages en soi. La reprise du droit UE est avant tout utile quand elle permet de faciliter les échanges commerciaux de la Suisse. Par exemple, la Suisse abrite de nombreux fabricants et consommateurs de produits chimiques. Le Conseil fédéral a donc eu raison d’adapter l’ordonnance correspondante au droit UE.
En revanche, nous avons tort de reprendre du droit UE qui se fonde sur d’autres valeurs politiques que le régime légal helvétique. Ce constat vaut pour de nombreux secteurs de la politique économique. L’UE veut faire participer tous les consommateurs, investisseurs et salariés aux bienfaits de l’économie de marché, mais elle veut en même temps les protéger par des prescriptions légales contre tous les désagréments du marché. D’une manière générale, l’UE cherche à garantir à ses citoyennes et citoyens une vie sans risque. Par exemple, les enfants doivent être protégés contre les dangers qu’ils courent en jouant, si bien que l’UE définit en détail ce qui est un jouet (ces produits sont soumis à une sévère et minutieuse règlementation) et ce qui ne l’est pas (pourquoi des machines à vapeur miniatures ne sont-elles pas des jouets?). L’UE veille aussi à ce que ses citoyens mènent une vie prétendument saine. Elle interdit donc de distribuer des échantillons gratuits de lait pour nourrissons afin que les mères allaitent plus longtemps leurs enfants. L’Office fédéral de la santé publique a adopté cette prescription pour la Suisse.
Les forces étatistes favorables à la régulation de la vie économique et sociale soutiennent la reprise de ce genre de règlementation en avançant en général le prétexte que «la Suisse ne peut pas se soustraire à ce développement» et qu’elle «ne peut pas rester à l’écart».
Deuxièmement, la reprise du droit UE doit se faire dans le cadre d’un processus démocratique transparent. L’expérience de ces dernières années montre en effet que lorsque la Suisse a décidé d’adapter son droit à celui de l’UE, elle reprend automatiquement les développements ultérieurs de ce droit. La suite des événements échappe donc à son contrôle. Il n’est pas acceptable que cet abandon de l’indépendance suisse se déroule en cachette. La reprise de droit UE via des ordonnances, des accords conclus par l’administration ou des jugements de tribunaux ne répondent pas aux exigences d’un régime démocratique.
Troisièmement, le droit UE ne doit pas être copié à la lettre (sauf si une adaptation fidèle est dans l’intérêt du commerce, ce qui est précisément le but premier de la reprise de droit UE). Le style législatif de l’UE est un des acquis les plus funestes de la culture juridique occidentale: des pages et des pages de prescriptions excessivement détaillées rédigées dans la langue de technocrates fonctionnarisés et, de surcroît, changeant à brefs intervalles.
Rester souverain en reprenant le droit UE
Les principes énoncés plus haut définissent le rôle de la souveraineté nationale lors de la reprise de droit UE: renoncer à reprendre un droit UE qui n’est pas conforme à nos intérêts et à nos objectifs politiques; respecter la transparence et la démocratie lors de la reprise de droit UE; ne pas adopter le style législatif UE.
Ce sont là des revendications modestes. La Suisse a pourtant violé à plusieurs reprises ces principes durant les vingt ans écoulés.
Hans-Ueli Vogt, député au Grand Conseil, professeur de droit économique à l’Université de Zurich, Zurich