Le projet de modification de la loi sur le droit d’auteur a pour but de garantir une rémunération aux entreprises de médias et aux journalistes pour l’utilisation de leurs contenus par les grands fournisseurs de services en ligne.
Pour ce faire, l’avant-projet prévoit un droit à rémunération en faveur des entreprises de médias lorsque de grands fournisseurs de services de la société de l’information (services en ligne) mettent à disposition du public des publications journalistiques par l’affichages d’aperçus de publications (snippets) ou de vignettes d’images (thumbnails). Les auteurs de ces œuvres contenues dans les publications journalistiques devront recevoir une part de cette rémunération.
Le Parlement a renoncé à un système similaire il y a peu
Tout aussi prometteuses qu’elles puissent paraître, ces propositions peinent à convaincre dès lors que l’on s’y affaire sérieusement. Rappelons qu’en 2019, lors de la révision du droit d’auteur, le Parlement a renoncé explicitement à instaurer un droit à la rémunération en faveur des publications journalistiques à l’instar de l’Union européenne. Il est étonnant de constater qu’une nouvelle démarche en ce sens puisse intervenir de manière aussi rapide, cela alors même qu’elle n’est pas soutenue par l’entier de la branche concernée.
Plusieurs raisons ont conduit à cela. En particulier, on peine à comprendre, par principe, pourquoi une telle disposition serait créée particulièrement pour les médias, à l’exclusion par exemple des encyclopédies en ligne ou des blogs.
En outre, le principe même de l’obligation de rémunération entre en conflit avec la liberté contractuelle cela d’autant plus que l’analyse d’impact de la réglementation (AIR) menée en marge des démarches du Conseil fédéral a constaté que « l’utilisation de courts snippets par les grandes plateformes en ligne ne porte très vraisemblablement pas de préjudice aux entreprises de médias » (réponse du Conseil fédéral à l’interpellation 23.3691).
La création d’une instance capable d’apprécier si les candidats à la rémunération correspondent ou non au travail journalistique et de négocier en leur nom pose de plus un problème de principe quant à l’indépendance de la presse et à sa centralisation.
Pas de plus-value démocratique
Un élément qui doit être relevé est qu’avec le système proposé, les éléments à haute valeur ajoutée qui sont les plus enclins à faire avancer le débat démocratique ne seront pas nécessairement gagnants. Au contraire, il est à craindre que les éléments à succès, donc ceux qui produiront le plus de revenus, seront des titres à sensations, des sujets à la mode et des contributions clivantes. Or, il serait injustifié de favoriser publiquement des contenus à faible valeur démocratique ajoutée tels que la presse de boulevard et les enquêtes inabouties et montées en épingle, qui se multiplient aujourd’hui déjà.
De plus, il serait faux d’attribuer aux grandes plateforme une mentalité d’accaparation : les médias sont libres de bloquer l’accès des groupes à leurs contenus. Le fait que ce ne soit pas le cas démontre que le partage des liens se fait dans un intérêt mutuel : les médias profitent directement de l’immense visibilité offerte par le trafic gratuit proposé par les grandes plateformes. Le Conseil fédéral reconnaît par ailleurs que les snippets « leur permettent toutefois d’élargir leur audience et de renforcer leur position dans la course aux revenus publicitaires » (ip. 23.3691). Il en résulte des entrées publicitaires et une augmentation des abonnements.
Des risques démesurés et durables
L’approche proposée ne permet pas d’exclure ni d’empêcher que des fournisseurs de services en ligne cessent de proposer certains services d’information ou renoncent à l’affichage de liens vers les publications journalistiques à cause du droit de rémunération. Une telle situation mettrait les acteurs médiatiques dans une situation délicate. Par ailleurs, l’éventualité d’une disparition des contenus locaux de certaines grandes plateformes au profit de médias étrangers serait néfaste tant pour les entreprises locales que pour la bonne information du public et l’exercice de la démocratie.
Les exemples internationaux démontrent avec une étonnante constance que les mesures visant à instaurer un droit à la rémunération, sous toutes leurs formes, échouent à atteindre les objectifs fixés. Les médias les plus modestes sont systématiquement les grands perdants et se retrouvent parfois exclus de grandes plateformes sur lesquelles ils comptaient pour diffuser leurs contenus librement, parfois au profit de rares rédactions dominantes.
Pour toutes ces raisons, l’UDC Suisse estime qu’il faut rejeter le projet soumis à consultation dans son ensemble. Au minimum, il s’agirait de le suspendre en attendant de disposer d’un plus large éventail de données issues des expériences de la mise en œuvre de la réglementation mise en place à l’étranger.
Réitérant ses remerciements de l’avoir associée à cette consultation, l’UDC Suisse vous prie de croire, Madame la Conseillère fédérale, Mesdames et Messieurs, à l’assurance de sa considération.